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Saturday, March 13, 2021

La diplomate Pamela White, ancienne représentante des États-Unis en Haïti, exprime des doutes sur la crédibilité d'élections organisées par Jovenel Moïse lors d’une réunion du Congrès américain

La diplomate Pamela White, ancienne représentante des États-Unis en Haïti, n’a pas été tendre envers le régime de facto en place en Haïti.

Lors d’une réunion des membres du congrès américain sur la crise haïtienne, Pamela White a adressé des reproches à l’administration Moïse pour avoir mis de côté une  »respectable » base de données pour adopter une nouvelle, (baptisée Carte Dermalog par la population).

Pamela White a noté que le gouvernement n’a pu jusque là enregistrer que 2,8 millions de citoyens, et distribuer 1,7 millions de cartes d’identification devant aussi être utilisées pour voter.

La diplomate a par ailleurs exprimé des réserves au sujet du référendum constitutionnel de Jovenel Moïse et de l’organisation des élections en 2021 dans le pays.

Pamela White a finalement suggèré à la communauté internationale de prôner une transition en douceur et l’amélioration des conditions de sécurité.


Wednesday, February 10, 2021

Haïti – Au bord du gouffre

Par Serge Moïse. 

« On peut tromper une partie du peuple tout le temps, une partie du temps tout le peuple, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps » ~ Abraham Lincoln.

Le pays recule à une vitesse vertigineuse. C’est en ces termes que l’éminent professeur Leslie F. Manigat tentait de tirer la sonnette d’alarme quelques années avant qu’il n’accède à la plus haute magistrature de l’État en l’an de grâce 1988. 

Il avait, disait-il, une vision claire et nette de ce qu’il fallait entreprendre afin de remettre le pays sur les rails du développement durable et du progrès. La soldatesque ne l’entendait pas de cette oreille et quatre mois après ce que tout le monde qualifiait d’heureux événement pour le pays, l’équipe gouvernementale réunissant les plus belles compétences, aux dires des adversaires politiques eux-mêmes, avec pour premier ministre Martial Célestin, au Ministère de l’Économie et des Finances, nul autre que le brillant économiste et intellectuel de belle eau, Monsieur Alain Turnier. Quatre mois après disons-nous, disparaissaient dans la nébuleuse en emportant dans sa course folle, le chef suprême de la nation et tous les espoirs d’un lendemain meilleur.

Qu’avez-vous fait de mon pays, demandait tout récemment et avec une candeur non feinte, celui qui avait dû filer à l’anglaise le 7 février 1986. 

Probité intellectuelle oblige, force est de reconnaître que le pays qui reculait déjà à grande vitesse auparavant, n’a fait que continuer son parcours vers ces profondeurs abyssales qui ne trompent plus personne. 

Nous l’avions souligné antérieurement, le pays a toujours évolué en dent de scie, atteignant jour après jour les niveaux les plus bas. 

Et en toute honnêteté, la responsabilité est collective. Oui, autant ceux qui ont très mal fait ce qu’ils avaient faire, que ceux qui n’ont pas fait ce qu’ils auraient dû faire.

Toute approche manichéenne est donc à rejeter d’un revers de main. La nature ayant horreur du vide, dès qu’il y a vacuum, cette dernière voit à ce qu’il soit colmaté et tant pis pour ceux qui s’y prennent plutôt mal, ils en paieront le prix. 

Voilà en un mot comme en cent, le vilain portrait de notre triste réalité. Et comme les mêmes causes, dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets, il s’avère évident que si nous ne changeons pas de comportement, nous risquons de rééditer les mêmes errements. 

Nous n’avons jamais connu une telle décrépitude tout au cours de notre jeune histoire de peuple du quart-monde. Le 12 janvier 2010, nos lwa et nos saints ne nous ont point épargnés. Ils nous ont certes mis face à nos responsabilités et qu’avons-nous fait ?

Hélas, comme si de rien n’était !

Les dernières élections : comme les autres !

Formation du gouvernement : comme les autres !

Des parlementaires : pire que les autres !

En somme plus ça change, plus c’est pareil !

Qui n’avance recule dit le vieil adage. Nous en sommes la preuve vivante et répétons chaque jour au professeur qu’il avait entièrement raison. 

Le pouvoir judiciaire qui n’en est pas un, d’où l’impérieuse nécessité de créer la « CNRJ » Commission nationale de la Réforme judiciaire, le Parlement qui n’arrive pas à se hisser à la hauteur de sa mission républicaine, les gouvernements qui sont dépassés par les événements, la société civile plutôt timorée, les organisations populaires fatiguées, les organismes de défense des droits humains désemparés, il y a lieu de se demander : Où va la république ? 

Au lendemain de l’inoubliable séisme, nous avons élevé la voix pour que les nouveaux dirigeants fassent de la « création d’emplois » la priorité des priorités. Le ministre canadien des Affaires étrangères, de passage au pays, au cours d’une allocution publique a eu à souligner et à l’eau-forte que « la création d’emplois était la priorité absolue ». Nous avons insisté pour une démarche endogène avec la participation active des filles et des fils de la nation, à l’intérieur comme à l’extérieur du terroir à travers le « FHS » Fonds haïtien de Solidarité pour financer la création d’emplois à travers tout le pays. L’indifférence de nos dirigeants, le silence de nos intellos, la langue de bois de nos politiciens et la résilience de la population font qu’on croirait que le tremblement de terre n’avait vraiment secoué personne. 

À ce dangereux carrefour de la vie nationale, il s’avère impérieux de sortir des sentiers battus. Le chemin parcouru n’est certes pas le meilleur. Les œuvres caritatives, on en a besoin, mais ce ne sera jamais la voie du développement durable et dans l’état actuel des choses, en l’absence d’une solide chaîne de solidarité à l’instar du « FHS » : Fonds haïtien de Solidarité, nous ne voyons point de salut public. 

Persévérer dans l’erreur est diabolique, nous enseignent les anciens. Il est donc temps de nous retrousser les manches, plus tard risque d’être trop tard, car tous les indicateurs nous disent que nous errons tous, malheureusement, au bord du.gouffre.

 



Friday, September 20, 2019

Haïti : les enjeux de la sortie de crise

Par:Louis Naud Pierre, Ph.D.
 
Haïti vit actuellement la plus grande crise de son histoire. Pour la surmonter, des propositions se multiplient. Leur point commun est l’établissement d’un lien de cause à effet entre : la défaillance personnelle des tenants du pouvoir actuels et le dysfonctionnement des institutions publiques, produisant la crise. La solution proposée est le départ de ces derniers et l’organisation d’une Conférence nationale. Le reste est un ensemble de formules qui se retrouvent déjà dans les divers documents-cadres de développement d’Haïti adoptés par l’État.

L’idée qui sera développée ici est la suivante : la crise actuelle est une crise de l’intégration et de la régulation de la société dont la structure de base, la Fanmi, se désorganise (Vieux S. H., 2007). Cette désorganisation consiste en une perte d’influence des valeurs et des règles du droit coutumier sur les attitudes des individus qui cherchent satisfaction à leurs désirs de biens rares que sont l’argent, le pouvoir et la gloire dans un monde de compétition sans foi ni loi autre que celle du plus fort et du plus impitoyable. Les institutions – comme l’école, l’entreprise, la religion et l’État, avec son cadre constitutionnel et légal –  destinées à intégrer les individus dans ce monde et à y réguler leurs rapports, ont été détournées de leur fonction. Elles ont été transformées par une élite néo-esclavagiste et cupide en ressources pour aliéner, puis exploiter une population totalement zombifiée. La prégnance de l’esprit d’hostilité empêche les individus –  qui souffrent de l’enfer inhérent à cette crise – de s’engager dans une discussion éthique en vue d’articuler les valeurs et les règles du droit coutumier avec celles du cadre constitutionnel et légal étatique et de se les approprier.

Louis Naud Pierre, Ph.D.
Sociologue/IDES.

Wednesday, November 30, 2016

L'élection de Jovenel Moïse, «une catastrophe» pour Haïti selon Frédéric Thomas

Le candidat à la présidentielle Jovenel Moise (G) lors d'une
déclaration à la Presse après l'annonce des résultats partiels
le 28 novembre 2016 par le Conseil Electoral Provisoire.     

Par Aude Massiot 


Frédéric Thomas, spécialiste du pays, voit dans la victoire de ce PDG à la carrière opaque un retour en arrière pour les Haïtiens, avec une poursuite des mesures ultralibérales engagées par son prédécesseur et parrain, Michel Martelly.



Lundi, le Conseil électoral provisoire (CEP) haïtien a annoncé, dans un climat de tensions national, les résultats préliminaires de la présidentielle, donnant Jovenel Moïse, 48 ans, vainqueur dès le premier tour, avec 55,6 % des voix. Pour Frédéric Thomas, chercheur en sciences politiques au Centre tricontinental de Louvain-la-Neuve (Belgique), ce scénario est dramatique pour un pays qui tentait, tant bien que mal, de reconstruire ses institutions démocratiques. Jovenel Moïse, choisi par l’ancien président libéral, Michel Martelly, compte renforcer la dépendance de Haïti envers l’aide internationale et les Etats-Unis.



Que savez-vous de Jovenel Moïse ?

Il est le dauphin de Michel Martelly, l’ancien président élu en 2010 [peu après le séisme qui a tué 220 000 personnes, le 12 janvier 2010, ndlr], et qui a terminé son mandat en février. Jovenel Moïse est un homme d’affaires qui vient du nord-est du pays. Il est surtout connu pour être le PDG d’Agritrans, une entreprise de production et d’exportation de bananes biologiques, à destination surtout de l’Allemagne, et première zone franche agricole du pays. C’est un méga projet de 987 hectares, pour lequel Moïse a obtenu 6 millions de dollars [5,6 millions d’euros]du gouvernement Martelly. Ce dernier avait déjà pour objectif de créer plusieurs zones franches, Jovenel Moïse l’a repris dans son programme. Comme l’ancien président, le jeune homme d’affaires a fait sa campagne sur son image d’outsider. Agritrans est néanmoins un projet vitrine très opaque qui rappelle l’opacité de la carrière de Moïse. D’après une récente enquête, il posséderait 14 comptes bancaires et ferait l’objet de soupçons de blanchiment d’argent. Il est très probablement l’homme de paille derrière lequel se cache l’élite économique locale, et Michel Martelly.
Comment expliquer qu’un homme d’affaires impliqué dans de telles affaires soit élu dès le premier tour ?
Il faut déjà noter que le taux de participation a été, une nouvelle fois, très faible : 21 %, selon le CEP. Si on le rapporte à la population totale, cela veut dire que Moïse aurait été élu par 10 % des Haïtiens. Cela montre bien le discrédit de la classe politique pour la population. Si Moïse est arrivé premier, c’est que, pour beaucoup, l’espoir réside en dehors de la classe politique. Martelly était aussi considéré comme un outsider [c’est une ancienne star de kompa, ancêtre du zouk, ndlr], comme avant lui, René Préval (2006-2011), et bien sûr Jean-Bertrand Aristide (2001-2004). Les importants moyens financiers du parti de Moïse, le PHTK, ont aussi joué un rôle dans sa victoire.
Quelles conséquences cette élection peut-elle avoir sur le pays ?
C’est une catastrophe. Il faut regarder le bilan de Martelly pour comprendre : on a observé un recul des droits des femmes ; la société civile a dénoncé l’aggravation des menaces et des violences à leur encontre ; l’ex-président fait l’objet de soupçons de corruption à grande échelle. Jovenel Moïse va poursuivre cette politique ultralibérale. Il a une image moins «showbiz» que son mentor, mais les sources de financement de sa campagne sont opaques. On ne sait pas qui il y a derrière lui.
Est-ce une bonne nouvelle pour les Etats-Unis ?
En effet. Michel Martelly, malgré ses frasques, a reçu jusqu’au bout le soutien des Etats-Unis, de l’Union européenne et de l’OAE [Organisation des Etats américains, un espace de coopération entre 35 Etats américains, ndlr]. Jovenel Moïse aussi. Les autres candidats face à lui s’étaient montrés, eux, plus indépendants. Du moins dans les paroles. En octobre 2015, l’Occident avait condamné le choix du Conseil électoral provisoire d’annuler, pour fraude, les résultats du premier tour de la présidentielle qui donnaient déjà Moïse vainqueur. L’UE avait même retiré sa mission d’observation des élections. Finalement, ce scrutin s’est déroulé sans incident majeur et, pourtant, avec beaucoup moins de financements. C’est un très bon signe, mais l’élection de Moïse va signifier un retour en arrière, et la mise à mal d’institutions démocratiques déjà fragiles.
Comment expliquer ce taux de participation très faible ?
L’abstention dans le pays est généralement de cette ampleur. Avec 21 % de participation, cette fois-ci, on a à peu près le même taux qu’en 2015, et un peu moins qu’en 2010. Cela reflète le clivage très grand qui persiste entre les élites politiques déconnectées et la population confrontée à une urgence quasiment quotidienne. Au-delà des élections, il existe très peu d’activités politiques en dehors du gouvernement. Les partis politiques sont des coquilles vides qui s’animent à chaque scrutin. Le cynisme de la population vis-à-vis de leurs dirigeants est donc justifié. Il faut rappeler que Haïti est le pays le plus pauvre et le plus inégalitaire du continent américain.
Source :Libération




Friday, February 12, 2016

Les propositions de sagesse de Daly Valet...

Conseil Présidentiel!

Ces parlementaires qui veulent imposer leur " président provisoire " au pays sont frappés d'hérésie. Laissons les fous de pouvoir à leur folie du pouvoir.
La solution par la Cour de Cassation relève de l'anachronisme constitutionnel. Laissons les nostalgiques du passé à leur nostalgie de l'ère des présidents provisoires "popetwèl". Surtout laissons nos vieux Juges à leur vieille justice.
Soyons sages. Et soyons raisonnables.
J'etais personnellement pour la solution intérimaire par le Conseil des Ministres et un Premier ministre de consensus désigné par Martelly, accepté par l'Opposition et ratifié par le Parlement. Mais hélas ! Martelly, Privert et l'opposition n'ont su se transcender. Ils ont tous "bêtisé" et raté l'opportunité de se faire raisonnables dans cette folle déraison de tous.
L'opposition a voulu le scalp de Martelly. Ils ont obtenu le scalp de la République. Martelly a voulu tout le pouvoir pour lui dans la continuité de la bamboche permanente. Il a laissé le pays sans pouvoir et en pleine déréliction.
Notre destin immédiat de peuple désormais entre les mains de véreux crétins profiteurs de République en panne de leadership éclairé et de vilains prestidigitateurs locaux et internationaux en mal de puissance et agents rédempteurs du "status quo ".
Dans le délire ambiant, j'en appelle à ce résidu de raison humaine et de vertu civique qui habite malgré tout le plus voyou d'entre nous. Par la raison, confions temporairement les rênes du pays aux doyens d'âge et aux sages reconnus de la Cité:
1. Constituons un Conseil Présidentiel Provisoire avec les 3 personnalités suivantes :
a. Gérard Gourgue
b. Odette Roy Fombrun
c. Franck Étienne

2) Formons un Gouvernement de Consensus avec Mirlande Manigat comme Premier ministre.
Le Conseil Présidentiel Provisoire et le Gouvernement de Consensus assureront le Pouvoir Exécutif dans toute sa plénitude pendant toute la période que durera la transition jusqu'à l'élection juste et honnête d'un président légitime au suffrage universel direct.
Vive la République!
Daly Valet
12 Février 2016

Wednesday, December 10, 2014

Crise, visite de Kerry et confusion dans les esprits (1 de 3)

Par Leslie Péan, 8 décembre 2014
Le texte qui suit a trois objectifs. D’abord, il commence par une réflexion sur le pouvoir Tèt Kale et l'écart entre les intentions et les réalisations. Ensuite, il présente une analyse du sens de l’éventuelle visite du Secrétaire d’État américain John M. Kerry en Haïti. Enfin, il articule la nécessité d’arriver à une stratégie d’opposition qui ait une chance de conduire à une solution durable.

La crise qui sévit en Haïti est l’expression de l’incapacité manifeste des secteurs conservateurs de concevoir la possibilité d’existence d’un autre pays. La dernière trouvaille de ces secteurs traditionnels est de prétendre que les loisirs et les réjouissances peuvent endormir le peuple. Comme le dit l’Appel à la Concertation du Sénat de la République en date du 5 décembre 2014, « la crise actuelle dans son contenu, son déroulement, ses manifestations et ses prolongements va au-delà d’une banale crise électorale. » L’outrance des carnavals est à son comble. On se complait dans l’inanité. L’attrait dominant du mal se mesure dans l’assassinat du commerçant Octanol Derissaint, du policier Walky Calixte, l’incarcération des prisonniers politiques comme les frères Florestal et les autres militants, du MOPOD et de Lavalas, les enlèvements et disparitions, le gaspillage des fonds PetroCaribe, la non-tenue des élections en 2011, 2012, 2013 et 2014. Sur le plan politique, Haïti accumule déchets sur déchets à un rythme exponentiel. Les effets de la crise sont multidimensionnels et la société haïtienne nage dans le malheur. En plein dans le dérangement de l’ordre des choses qu’exige la salubrité.

Paysage haïtien 
Sur le plan environnemental, la surface forestière s’est réduite à moins de 2% en 50 ans. Le revenu réel haïtien par habitant, qui était égal à celui de la République Dominicaine en 1960, soit 800 dollars américains,  a diminué de moitié (400 dollars) cinquante ans plus tard, tandis qu’il a plus que triplé en République Dominicaine (2 500 dollars). Dans ce genre de situation, il importe de nettoyer les écuries d’Augias, comme nous l’apprend le cinquième des douze travaux d’HerculeeculeH. Les écuries d’Augias n’avaient pas été nettoyées depuis trente ans et Hercule avait du dévier deux rivières pour éliminer la malpropreté et les odeurs nauséabondes. Que dire d’Haïti où les écuries n’ont jamais été nettoyées depuis deux siècles. La crise s’aggrave au fil des jours avec les manifestations populaires réclamant partout le départ de l’équipe au pouvoir. Les actes du mauvais spectacle des comédiens ne cessent de provoquer des protestations. Trop de gagòt. Trop d’orgies. Trop de drogues. Derrière l’atmosphère festive des portes closes de la présidence. Haïti est devenue une véritable bombe à retardement. Le danger pointe à l’horizon. Nous sommes dans une poudrière qui peut exploser à tout moment avec une étincelle. Mais, comme dit le poète Hölderlin, « Là où nait le danger, croit aussi ce qui sauve ».

Transformer les crétins en surdoués et les vertueux en vauriens
Il y a des temps que la corruption en Haïti n’est plus individuelle mais plutôt collective. Avec 20% de la cocaïne rentrant aux Etats-Unis en provenance d’Haïti[i] depuis les années 1990, soit 150 tonnes par an, le pays est devenu un narco-État[ii] avec une économie parallèle dépassant la moitié de son produit intérieur brut (PIB)[iii]. L’argent sale s’est infiltré partout pour renforcer les comportements de « calbindage » et contourner les lois. La zombification connaît de nouveaux sommets avec la capacité démultipliée de convertir l’être en non-être (zombification). En effet, la gouvernance corrompue, « a la magie de transformer les corrompus et corrupteurs en héros, le normal en pathologique, les crétins en surdoués, les vertueux en vauriens, les gagne-petit en richissimes, les valeurs épistémologiques en valeurs marchandes, l’État en un vaste système mafieux…[iv]. » Les câbles de l’ambassadrice américaine Janet Sanderson en 2008 révélés par l’organisation Wikileaks indiquent le degré de pénétration des narcotrafiquants dans la politique haïtienne[v].

Octanol Derissaint est le jeune homme de 32 ans qui  a ete abattu
 à la douane par Valentin Calixte.
 Cette situation est évidente au niveau de la justice où même des condamnés purgeant leurs peines de prison sont relâchés par des juges qui monnayent leurs décisions. On a même vu le 10 août 2014 une évasion massive de 329 prisonniers d’une prison de haute sécurité où étaient logés des trafiquants de drogue colombiens. La politique des prébendes est de rigueur. Tous les postes politiques sont à vendre et les potentiels acheteurs sont nombreux[vi].  Des escrocs sont devenus des notables. Tout le monde connaît la richesse soudaine de gens qui n’avaient pas un sou hier. En dépit de l’existence de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) et de l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), personne ne dénonce les revenus faramineux  de certains parlementaires. Nous assistons à la corruption insolente de  « la  classe politique de pouvoir d’État » pour employer cette expression du professeur de mathématiques et de philosophie Marcel Gilbert.

En effet, la classe politique de pouvoir d’État a augmenté en nombre tout en démultipliant son pouvoir économique[vii].  Dans sa majorité, le Parlement subit l’influence des affairistes qui ont financé plusieurs campagnes électorales. Ces financements ne se limitent pas aux actions légales mais s’étendent aux bandits nécessaires pour intimider les concurrents et semer le trouble le jour du scrutin. La critique des élections frauduleuses de 2010 s’est focalisée sur la présidence. Pourtant, sur le plan législatif également, des fraudes massives ont permis l’installation de la 49e Législature considérée comme la plus fertile en députés prêts à monnayer leur vote. Plus d’une vingtaine de parlementaires de la 48e Législature qui étaient des partis UNION, RDNP, OPL, LAVALAS ont changé leur allégeance et sont devenus membres du parti INITE[viii]. De plus, parmi ces parlementaires, une douzaine continue de recevoir les chèques mensuels qu’ils avaient au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales totalisant deux millions cent quarante mille deux cents cinquante (2 140 250) gourdes, soit plus de 50 000 dollars américains[ix].

En catimini, dans l’ombre et en silence
Au cours de cette dernière décennie, le nombre de parlementaires a augmenté de 17% soit de 110 membres (27 sénateurs et 83 députés) à 129 membres (30 sénateurs et 99 députés). Les salaires et frais alloués aux parlementaires ont explosé. Par exemple, en 2014, un sénateur reçoit, tout frais confondus, une rondelette somme mensuelle de 450 000 gourdes[x]. Nombre de délinquants patentés ont profité des élections pour tenter de se refaire une virginité, dévoyant l’immunité parlementaire pour en faire un paravent derrière lequel ils revendiquent l’impunité.[xi]

On aurait tort de croire que ces pratiques de banditisme concernent uniquement le pouvoir législatif. Au fait, le pouvoir exécutif a conçu le projet du « banditisme » qu’il a légalisé et transmis aux parlementaires. La fixation de l’État comme bien privé des occupants du fauteuil présidentiel et par extension de la présidence n’a jamais disparu et se reproduit indéfiniment. Le budget de la présidence a triplé en trois ans et est passé de 95 millions de gourdes sous la présidence de René Préval à 329 millions de gourdes sous celle de Michel Martelly[xii]. Les ministres et secrétaires d’État ont vu leur nombre doubler passant  de 18 à 39.  Loin de s’affaiblir avec le temps, la fixation de l’État comme vache à traire est restée vivante dans notre histoire figée depuis le « plumez la poule, mais ne la laissez pas crier » de Dessalines. Cette fixation a cheminé en catimini, dans l’ombre et en silence, prenant de l’éclat avec les tontons macoutes, jusqu’à l’arrivée des « bandits légaux ».

La période de latence du cheminement souterrain est terminée. Bien que la sonnette d’alarme ait été tirée sur les conséquences malheureuses de cette manière de faire, les députés continuent sur le mauvais chemin. Ils ont voté une loi augmentant le nombre de départements du pays de 16 à 20.  Ces changements ne seront pas imperceptibles car ils auront pour conséquence d’une part l’augmentation de 60% du nombre de sénateurs et d’autre part faire passer le budget pour les émoluments annuels des parlementaires de 2.9 à 4.6 milliards de gourdes[xiii].

Bien sûr, les cas de députés corrompus ne sont pas nouveaux. En 2008, lors d’une séance d’interpellation du Premier Ministre Jacques-Edouard Alexis,  le député de l’Alliance, Noël Eliphète, a dénoncé le comportement des députés qui se font payer par la primature pour l’obtention de leur vote[xiv].  Le même scénario et les mêmes accusations de corruption des parlementaires sont énoncés dans les cas de convocation du président Martelly sur la question de sa nationalité américaine ou encore du vote de la ratification de son premier ministre[xv].  Ces accusations sont d’autant plus importantes qu’elles sont proférées par nul autre que Fritz Gérald Bourjolly, député d’Aquin (Sud), un allié du Président Michel Martelly. Chaque vote crucial est une occasion en or pour un député de se faire de l’argent. La 49e législature a battu tous les records de l’inféodation au pouvoir exécutif comme l’a fait le député Luckner Noël de Ouanaminthe qui s’est mis à genoux le 14 mai 2013 devant le président Martelly pour le remercier d’avoir exécuté des petits projets dans sa commune.

Boycottage des soirées mondaines et piquets de grève

Dans cette situation, les démocrates haïtiens n’ont d’autres recours que d’approfondir les techniques de luttes employées par les étudiants haïtiens lors de la grève de Damiens de 1929. Techniques de manifestations multiples qui sont dans l’air du temps. Articulations des luttes estudiantines, intellectuelles, ouvrières, paysannes, urbaines, rurales, locales et internationales avec pour objectifs : la fin du gouvernement collabo de Borno et la désoccupation[xvi].  La conjoncture de crise actuelle a été créée de toutes pièces par l’arrogance, l’entêtement et l’ignorance du président Martelly. En exploitant habilement les seules compétences qu’il possédait en accédant au pouvoir, l’animation des activités de loisir, Martelly a fait du carnaval un mécanisme de stratégie de gestion des crises et négligé tous les problèmes de fond. Avec six carnavals  en trois ans, il a su endormir périodiquement l’opinion, reporter sans contestation véritable la tenue des élections municipales et législatives et détourner des millions de dollars au profit d’une petite clique de copains.

Version haïtienne des jeux du cirque de la Rome antique, le carnaval a été jusqu’à cette année la seule activité  planifiée et organisée plusieurs mois d’avance dans le pays. Tandis que la rentrée scolaire s’est déroulée chaque année dans l’improvisation et la débandade, le carnaval a toujours été planifié à partir de novembre et réalisé à temps. Le pourrissement de la crise oblige cette année le président à déposer ses souliers d’amuseur public pour essayer de chausser ceux d’un chef de bandes. À passer du statut de président autoproclamé du konpa à celui de président « élu », même s’il s’agit d’un territoire occupé.

Pendant qu’il hésite encore à lancer les préparatifs du 7e carnaval national, prévu à Jérémie pour 2015, et qu’il commence à préparer les grandes soirées dansantes de la fin d’année, l’opposition s’organise de plus en plus dans les rues, criant haut et fort ses revendications. En clair, l’opposition démocratique se dote de moyens d’action pacifiques, efficaces et sécuritaires.  Dans l’optique d’affronter le président Martelly sur son propre terrain, elle doit boycotter toutes les soirées mondaines de la saison et instituer en Haïti la pratique des piquets  de grève et des panneaux et autres banderoles de dénonciation à l’entrée des boîtes de nuit. (à suivre)




[i] Don Bohning, « Haiti a heaven for drug-traffickers », Miami Herald, July 20, 1998.
[ii] Daurius Figueira, Cocaine Trafficking in the Caribbean and West Africa in the Era of the Mexican cartels, Bloomington, Indiana, 2012, p. 133-147.  Lire aussi Robert Fatton, Haiti's Predatory Republic: The Unending Transition to Democracy, Lynne Rienner Publishers, 2002, p. 121.
[iii] Friedrich Schneider, Andreas Buehn et Claudio E. Montenegro,  « New estimates for the Shadow Economies all over the world », International Economic Journal, volume 24, number 4, December 2010, p. 455.
[iv] Lucien Ayissi, Corruption et gouvernance, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 214.
[v] http://www.wikileaks.org/plusd/cables/06PORTAUPRINCE2230_a.html, Ambassador Janet Sanderson, Confidential, Wikileaks, Novembre 20, 2008.
[vi] Robert Fatton Jr, « Haïti : la politique d’industrialisation par invitation »,  Cahier des Amériques, 2014.
[vii] Gary Olius, « Quand le processus démocratique est en panne, la dictature est à deux pas… », Alterpresse, 21 avril 2009.
[viii] Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), HAITI CORRUPTION: Le RNDDH appelle à la fin du gaspillage et du copinage au sein de l’administration publique, P-au-P, Juillet 2011, p. 2-3.
[ix] Ibid, p. 5.
[x] Gary Olius, « Quand la démocratie devient "développementicide" », Alterpresse, 14 septembre 2014.
[xi] Jean Erich René, « A quoi servent nos partis politiques ? », Baromètre politique haïtienhttp://barometre-politique.blogspot.com, 1er septembre 2010.
[xii] Leslie Péan, « Martelly se trompe et veut tromper tout le monde », Alterpresse, 1er septembre 2013
[xiii] Gary Olius, « Quand la démocratie devient "développementicide" », op. cit.
[xiv] « Plusieurs députés n’entendent pas respecter les consignes de leurs partis », Radio Métropole, 28 février 2008.
[xv] « Fortes tensions et accusations de corruption à la séance de ratification de Laurent Lamothe », Radio Kiskeya, 3 mai 2012.
[xvi] Leslie Péan, « Combattre l'occupation et les " bandits légaux " », Le Nouvelliste, 1er décembre 2014.