Par Serge Moïse.
« On peut tromper une partie du peuple tout
le temps, une partie du temps tout le peuple, mais on ne peut tromper tout le
peuple tout le temps » ~ Abraham Lincoln.
Le pays recule à une vitesse vertigineuse.
C’est en ces termes que l’éminent professeur Leslie F. Manigat tentait de tirer
la sonnette d’alarme quelques années avant qu’il n’accède à la plus haute
magistrature de l’État en l’an de grâce 1988.
Il avait, disait-il, une vision claire et
nette de ce qu’il fallait entreprendre afin de remettre le pays sur les rails
du développement durable et du progrès. La soldatesque ne l’entendait pas de
cette oreille et quatre mois après ce que tout le monde qualifiait d’heureux
événement pour le pays, l’équipe gouvernementale réunissant les plus belles
compétences, aux dires des adversaires politiques eux-mêmes, avec pour premier
ministre Martial Célestin, au Ministère de l’Économie et des Finances, nul
autre que le brillant économiste et intellectuel de belle eau, Monsieur Alain
Turnier. Quatre mois après disons-nous, disparaissaient dans la nébuleuse en
emportant dans sa course folle, le chef suprême de la nation et tous les
espoirs d’un lendemain meilleur.
Qu’avez-vous fait de mon pays, demandait tout
récemment et avec une candeur non feinte, celui qui avait dû filer à l’anglaise
le 7 février 1986.
Probité intellectuelle oblige, force est de
reconnaître que le pays qui reculait déjà à grande vitesse auparavant, n’a fait
que continuer son parcours vers ces profondeurs abyssales qui ne trompent plus
personne.
Nous l’avions souligné antérieurement, le pays
a toujours évolué en dent de scie, atteignant jour après jour les niveaux les
plus bas.
Et en toute honnêteté, la responsabilité est
collective. Oui, autant ceux qui ont très mal fait ce qu’ils avaient faire, que
ceux qui n’ont pas fait ce qu’ils auraient dû faire.
Toute approche manichéenne est donc à rejeter
d’un revers de main. La nature ayant horreur du vide, dès qu’il y a vacuum,
cette dernière voit à ce qu’il soit colmaté et tant pis pour ceux qui s’y
prennent plutôt mal, ils en paieront le prix.
Voilà en un mot comme en cent, le vilain
portrait de notre triste réalité. Et comme les mêmes causes, dans les mêmes
conditions produisent les mêmes effets, il s’avère évident que si nous ne
changeons pas de comportement, nous risquons de rééditer les mêmes errements.
Nous n’avons jamais connu une telle
décrépitude tout au cours de notre jeune histoire de peuple du quart-monde. Le
12 janvier 2010, nos lwa et nos saints ne nous ont point épargnés. Ils nous ont
certes mis face à nos responsabilités et qu’avons-nous fait ?
Hélas, comme si de rien n’était !
Les dernières élections : comme les autres !
Formation du gouvernement : comme les autres !
Des parlementaires : pire que les autres !
En somme plus ça change, plus c’est pareil !
Qui n’avance recule dit le vieil adage. Nous
en sommes la preuve vivante et répétons chaque jour au professeur qu’il avait
entièrement raison.
Le pouvoir judiciaire qui n’en est pas un,
d’où l’impérieuse nécessité de créer la « CNRJ » Commission nationale de la
Réforme judiciaire, le Parlement qui n’arrive pas à se hisser à la hauteur de
sa mission républicaine, les gouvernements qui sont dépassés par les
événements, la société civile plutôt timorée, les organisations populaires
fatiguées, les organismes de défense des droits humains désemparés, il y a lieu
de se demander : Où va la république ?
Au lendemain de l’inoubliable séisme, nous
avons élevé la voix pour que les nouveaux dirigeants fassent de la « création
d’emplois » la priorité des priorités. Le ministre canadien des Affaires
étrangères, de passage au pays, au cours d’une allocution publique a eu à
souligner et à l’eau-forte que « la création d’emplois était la priorité
absolue ». Nous avons insisté pour une démarche endogène avec la participation
active des filles et des fils de la nation, à l’intérieur comme à l’extérieur
du terroir à travers le « FHS » Fonds haïtien de Solidarité pour financer la
création d’emplois à travers tout le pays. L’indifférence de nos dirigeants, le
silence de nos intellos, la langue de bois de nos politiciens et la résilience
de la population font qu’on croirait que le tremblement de terre n’avait
vraiment secoué personne.
À ce dangereux carrefour de la vie nationale,
il s’avère impérieux de sortir des sentiers battus. Le chemin parcouru n’est
certes pas le meilleur. Les œuvres caritatives, on en a besoin, mais ce ne sera
jamais la voie du développement durable et dans l’état actuel des choses, en
l’absence d’une solide chaîne de solidarité à l’instar du « FHS » : Fonds
haïtien de Solidarité, nous ne voyons point de salut public.
Persévérer dans l’erreur est diabolique, nous
enseignent les anciens. Il est donc temps de nous retrousser les manches, plus
tard risque d’être trop tard, car tous les indicateurs nous disent que nous
errons tous, malheureusement, au bord du.gouffre.