Friday, February 19, 2021

Situation dramatique à Haïti : la CRC interpelle le gouvernement canadien

Face à la situation dramatique que traverse Haïti depuis plusieurs mois maintenant, la CRC a décidé d’interpeller le gouvernement canadien pour qu’il défende les valeurs démocratiques en dénonçant ouvertement et clairement le régime dictatorial instauré par le président Jovenel Moïse en Haïti.

Monsieur,

La Conférence Religieuse Canadienne représente les congrégations religieuses canadiennes. Plus de deux cents congrégations sont présentes au Canada et elles totalisent toujours plus de 10 000 religieuses et religieux. C’est en leur nom que je vous fais part de ce cri du cœur pour que le Canada défende les valeurs démocratiques en dénonçant ouvertement et clairement le régime dictatorial instauré par le président Jovenel Moïse en Haïti.

La violence qui règne actuellement dans ce pays des Antilles est indescriptible; la peur règne, les enlèvements se multiplient, ce qui implique la demande d’importantes rançons; le désordre est total et les gens meurent de faim. Monsieur le Premier Ministre Trudeau, vous connaissez la force de la solidarité canadienne avec le peuple haïtien.   Actuellement, à cause du silence du gouvernement canadien, nous nous sentons complices des gestes de Monsieur Jovenel Moïse qui provoquent une situation inhumaine et désastreuse. Nous sommes révoltés de cette situation et nous désirons vous en faire part.

Nous avons confiance qu’une prise de position de votre gouvernement qui dénoncerait le chaos actuel à Haïti, si préjudiciable à la population du pays, pourrait éveiller les consciences et constituer une amorce à un changement nécessaire. Nous vous prions donc, monsieur le Premier Ministre, de vous distancer du « Core group » international et d’oser dénoncer Jovenel Moïse qui s’accroche au pouvoir et tient ainsi captif le peuple haïtien en le faisant souffrir péniblement. C’est un régime dictatorial qu’il a instauré puisqu’il dirige le pays par décrets ; le parlement est dissous, après avoir reconnu depuis plus d’un an la fin du mandat de ses membres. Monsieur Moïse ose même franchir la limite fondamentale de la séparation entre le pouvoir politique et judiciaire en modifiant de son plein gré le mandat des juges de la Cour suprême du pays. Comme Canadiens, nous vivons en paix dans un système politique démocratique ; ne pouvons-nous pas alors agir en faisant entendre notre voix?

Monsieur le Premier Ministre, les religieuses et religieux canadiens dont un grand nombre a œuvré avec bonheur aux côtés du peuple haïtien, comptent sur vous afin que vous permettiez au Canada d’être de nouveau un leader par la dénonciation claire et nette de cette situation tout aussi insoutenable que pénible. Que votre dénonciation de l’action de M. Jovenel Moïse soit un appui pour le peuple haïtien !

Au nom de ce peuple cher aux Canadiens, nous vous demandons d’agir rapidement.

Respectueusement,

Alain Ambeault, CSV
Directeur général
Conférence religieuse canadienne

Wednesday, February 10, 2021

Haïti – Au bord du gouffre

Par Serge Moïse. 

« On peut tromper une partie du peuple tout le temps, une partie du temps tout le peuple, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps » ~ Abraham Lincoln.

Le pays recule à une vitesse vertigineuse. C’est en ces termes que l’éminent professeur Leslie F. Manigat tentait de tirer la sonnette d’alarme quelques années avant qu’il n’accède à la plus haute magistrature de l’État en l’an de grâce 1988. 

Il avait, disait-il, une vision claire et nette de ce qu’il fallait entreprendre afin de remettre le pays sur les rails du développement durable et du progrès. La soldatesque ne l’entendait pas de cette oreille et quatre mois après ce que tout le monde qualifiait d’heureux événement pour le pays, l’équipe gouvernementale réunissant les plus belles compétences, aux dires des adversaires politiques eux-mêmes, avec pour premier ministre Martial Célestin, au Ministère de l’Économie et des Finances, nul autre que le brillant économiste et intellectuel de belle eau, Monsieur Alain Turnier. Quatre mois après disons-nous, disparaissaient dans la nébuleuse en emportant dans sa course folle, le chef suprême de la nation et tous les espoirs d’un lendemain meilleur.

Qu’avez-vous fait de mon pays, demandait tout récemment et avec une candeur non feinte, celui qui avait dû filer à l’anglaise le 7 février 1986. 

Probité intellectuelle oblige, force est de reconnaître que le pays qui reculait déjà à grande vitesse auparavant, n’a fait que continuer son parcours vers ces profondeurs abyssales qui ne trompent plus personne. 

Nous l’avions souligné antérieurement, le pays a toujours évolué en dent de scie, atteignant jour après jour les niveaux les plus bas. 

Et en toute honnêteté, la responsabilité est collective. Oui, autant ceux qui ont très mal fait ce qu’ils avaient faire, que ceux qui n’ont pas fait ce qu’ils auraient dû faire.

Toute approche manichéenne est donc à rejeter d’un revers de main. La nature ayant horreur du vide, dès qu’il y a vacuum, cette dernière voit à ce qu’il soit colmaté et tant pis pour ceux qui s’y prennent plutôt mal, ils en paieront le prix. 

Voilà en un mot comme en cent, le vilain portrait de notre triste réalité. Et comme les mêmes causes, dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets, il s’avère évident que si nous ne changeons pas de comportement, nous risquons de rééditer les mêmes errements. 

Nous n’avons jamais connu une telle décrépitude tout au cours de notre jeune histoire de peuple du quart-monde. Le 12 janvier 2010, nos lwa et nos saints ne nous ont point épargnés. Ils nous ont certes mis face à nos responsabilités et qu’avons-nous fait ?

Hélas, comme si de rien n’était !

Les dernières élections : comme les autres !

Formation du gouvernement : comme les autres !

Des parlementaires : pire que les autres !

En somme plus ça change, plus c’est pareil !

Qui n’avance recule dit le vieil adage. Nous en sommes la preuve vivante et répétons chaque jour au professeur qu’il avait entièrement raison. 

Le pouvoir judiciaire qui n’en est pas un, d’où l’impérieuse nécessité de créer la « CNRJ » Commission nationale de la Réforme judiciaire, le Parlement qui n’arrive pas à se hisser à la hauteur de sa mission républicaine, les gouvernements qui sont dépassés par les événements, la société civile plutôt timorée, les organisations populaires fatiguées, les organismes de défense des droits humains désemparés, il y a lieu de se demander : Où va la république ? 

Au lendemain de l’inoubliable séisme, nous avons élevé la voix pour que les nouveaux dirigeants fassent de la « création d’emplois » la priorité des priorités. Le ministre canadien des Affaires étrangères, de passage au pays, au cours d’une allocution publique a eu à souligner et à l’eau-forte que « la création d’emplois était la priorité absolue ». Nous avons insisté pour une démarche endogène avec la participation active des filles et des fils de la nation, à l’intérieur comme à l’extérieur du terroir à travers le « FHS » Fonds haïtien de Solidarité pour financer la création d’emplois à travers tout le pays. L’indifférence de nos dirigeants, le silence de nos intellos, la langue de bois de nos politiciens et la résilience de la population font qu’on croirait que le tremblement de terre n’avait vraiment secoué personne. 

À ce dangereux carrefour de la vie nationale, il s’avère impérieux de sortir des sentiers battus. Le chemin parcouru n’est certes pas le meilleur. Les œuvres caritatives, on en a besoin, mais ce ne sera jamais la voie du développement durable et dans l’état actuel des choses, en l’absence d’une solide chaîne de solidarité à l’instar du « FHS » : Fonds haïtien de Solidarité, nous ne voyons point de salut public. 

Persévérer dans l’erreur est diabolique, nous enseignent les anciens. Il est donc temps de nous retrousser les manches, plus tard risque d’être trop tard, car tous les indicateurs nous disent que nous errons tous, malheureusement, au bord du.gouffre.

 



Après le 7 février, vaut mieux en pleurer que d’en rire

Le ridicule, ça fait grandir les cons. À preuve, nous avons trois présidents

Par Max Dorismond

Qui a gagné, qui a perdu? Ce célèbre refrain de notre barde national, Guy Durosier, vous révèle-t-il quelques souvenirs dans la vie d’un couple séparé en phase de réconciliation. Justement, qui a gagné, qui a perdu aujourd’hui ? Mon frère, mon cousin, mon voisin ! Mais voyons, il me ressemble. Donc, c’est axiomatique : c’est encore moi, c’est encore nous, c’est encore Haïti. Cette terre de rêve qui hante notre sommeil a reculé d’un quart de siècle.

Ici, comme je l’avais écrit antérieurement, il n’est plus question de président, de X ou de Y. Faut transcender la politique partisane, refroidir nos envies pour nous dépasser et aller plus loin encore, plus loin que l’histoire, pour redessiner la Nation espérée, en toute priorité. Il nous reste seulement cinq minutes avant la frontière du désespoir. Cinq minutes pour éviter la folie collective. Commençons par la refondation du pays en remaniant la « Loi Mère », objet de toutes les dérives. D’ailleurs, rien ne nous empêche de rebattre les cartes et repartir à neuf.

Nous avons le devoir de regarder, d’analyser, de soupeser toutes les propositions de sortie de crise déposées sur la table pour défier le diable. Ce ne sont nullement des fous qui les ont pondues, mais bien des consanguins, doués de jugement. Des humains, qui rêvent de rédemption, de paix, de progrès, pour un pays souffreteux, qui ne vit que d’espoir et d’assistances. 

Nous sommes tous d’une Nation, qui devient la risée du monde, un symbole d’exemple universel à éviter, imposé sciemment par l’exploiteur à la conscience de tous les déshérités de la terre, en guise d’insigne, à titre d’avertissements, pour bloquer, miner, annihiler leurs rêves de délivrance. On les culpabilise avec l’image d’une Haïti dépendante, squelettique, rabougrie, sous-développée, idiote et niaiseuse. Une Nation qui s’entredévore. Quelle honte! Quelle déchéance, pour un peuple qui a chamboulé le sinistre objectif du capitalisme naissant.

À titre de métaphore, utilisons, pour converser entre nous, la voix de Guy Durosier, dans sa célèbre chanson, « Je reviens te chercher ». C’est exactement ça la réalité : « Qui a gagné, qui a perdu/ On ne sait rien, on ne sait plus / On se retrouve les mains nues/ Mais après la guerre…/ Il nous reste à faire la paix... »

Quoi de plus éloquent que la paix des braves! Tout est sur la table. Ne soyez pas vindicatifs. Le courroux est ingrat et ne tue que son maître. Plusieurs ont fanfaronné pour faire peur à l’autre. Que de bruits, que de vociférations! Et après, c’est le silence mortifère d’une nation en déroute. La queue entre les jambes, on retourne dans son coin, les couilles molles, pour ronger son foin.

Bousculons la routine, dialoguons, trouvons la clé de notre irrévérence. Ne cherchons nul coupable, sinon on finirait avec le pays en prison. Enlevez le zipper devant le voile qui nous obscurcit la conscience. Prenez place à la table. Soupesez chaque détail en frères de sang, et non en compétiteurs.

Aliénés mentalement sous les coups de boutoir des ennemis de la nation depuis 215 ans1, victimes du syndrome colonial, nous ne nous rendons pas compte de notre glissade vers la déchéance. Étant aveugles par destination, nous nous sommes trompés d’adversaires en nous en prenant à nous-mêmes. 

Allons, réveillons-nous, sapristi ! Il est encore temps. Assoyons-nous et détaillons ou analysons les raisons, les causes de nos déchirements, pour y installer des garde-fous, aux fins d’éviter de tels débordements, de tels esclandres, de tels énervements, à doubler le profit de ceux qui ont investi dans notre immaturité. 

Bousillons leur programme. Nous ne sommes point des incompétents. Des preuves sonores habillent encore l’histoire. C’est un sophisme. Ils prêchent le faux pour obtenir le vrai. Ne leur offrons plus ces délices. Laissons-les rêver en couleur. Ressaisissons-nous. Donnons une dernière chance à la chance. Il reste une lueur d’espoir : c’est nous !

Réservons-nous ce droit et ce devoir de retoucher la Constitution, une fois pour toutes, en utilisant les conseils les plus pertinents, glanés à droite et à gauche, par écrit, à l’oral. C’est un besoin viscéral. Nos frères, éparpillés partout autour du globe, en ont vu du pays et sont prêts à partager leurs voix et leur mémoire. Nos paysans ou campagnards, qui ont vécu loin de nos tumultes citadins, ne sont pas sans ressources, et peuvent apporter leur grain de sel dans la recette nationale. Tous ou presque tous, doivent contribuer de leurs expériences et réflexions sur 215 années d’échecs pour relancer la machine.

Point n’est besoin de détailler ici le programme à venir. Les propositions fleurissent là, sous « l’arbre à palabre ». Il nous suffit de cueillir les fruits pour préparer un cocktail de passion et de raison avant de déguster le plat de résistance de la Constitution, qui sera digéré sans crainte de constipation. Car, nous ne voulons plus revivre ces « déchouquages2 » décapants, ces pays-lock déroutants, cette dualité asphyxiante, ces chantages de parlementaires, ces dictatures infamantes, ces siphonages du trésor public, cette corruption endémique, cette insécurité déstabilisante, ces déchirements fraternels perturbants, ces fuites de notre jeunesse vers des ailleurs hypothétiques. 

Attelons-nous vite à la tâche ! Pour maintenir la flamme, gardons simplement à l’esprit que les grandes décisions naissent souvent dans le fracas des dissensions !

Max Dorismond


NOTE

1 – 215 ans : Date calculée à partir de la mort du libérateur, J-Jacques Dessalines en oct. 1806.

2 – Déchouquage : terme créole emprunter des bucherons. Il vient du mot « dessoucher », c’est-à-dire, enlever la partie basique de l’arbre qui reste dans la terre. Dans notre créole, c’est une allégorie, une expression métaphorique violente, utilisée pour déstabiliser un adversaire, surtout en politique