Sunday, June 13, 2021

COVID-19. - Haïti face à sa déchéance

En rouge – Les Pays qui refusent les étrangers contaminés par le virus
 

Par Max Dorismond 

Parfois, c’est dans la noirceur ou dans la tourmente des épreuves qu’on voit poindre la lumière sur nos erreurs. Le malheur et la souffrance sont là pour nous réveiller. Si on les reconnaît à temps, la chance de les éviter à l’avenir augmente. Ce qui est le gage d’un futur prometteur, chez l’homme sensé. C’est la situation dans laquelle trépigne notre terre natale en ces jours si sombres. 

Nous ne sommes pas prophètes, mais nous devons penser que chaque Haïtien, en ce moment lugubre, s’interroge sur la fin tragique de tous les concitoyens, connus ou inconnus, dont la disparition, sous les assauts de la Covid-19, nous assomme, à chaque ouverture d’un courriel. Où se dirige Haïti ? Est-ce une hécatombe? Dans la 1ère semaine de juin 2021, la valse des morts nous interpelle et fait frissonner. 

Entre-temps, la liste de certains riches personnages, tels des éléments de l’élite politique, des affaires ou du protestantisme, contaminés, qui attendent, en vain, un avion providentiel privé de l’étranger, pour un transfert dans un hôpital outre-mer, nous laisse songeurs et suscite des interrogations. 

Pourquoi n’avons-nous pas hérité d’une institution sanitaire viable dans le pays ? L’île de Cuba, croulant sous un sauvage embargo depuis 60 ans, à quelques encablures de nos côtes, nous fait la leçon avec ses hôpitaux avant-gardistes et la découverte surprenante de deux vaccins anti-Covid au nom surréaliste : Abdala et Soberana (souverain). Nous, notre devise, c’est de voler, piller, ruiner, jouer aux fanfarons, toujours agrippés à la remorque de l’obole internationale. Souhaitons simplement que les vaccins à recevoir à titre de dons ne s’écoulent au marché noir. 

Néanmoins, cette pandémie, sans trompette, appelle à la raison. Les pays limitrophes ont tendance à fermer leurs frontières, même pour leurs ressortissants surpris ailleurs. Le virus est insaisissable. Ce n’est pas de l’égoïsme crasse, mais la loi du bon sens qui impose aujourd’hui sa rigueur et s’applique sans aucune commisération. Tous ont l’obligation de protéger leur territoire contre l’assaut du fléau. À titre d’exemple, « Tous les voyageurs âgés de plus de 5 ans qui désirent rentrer au Canada, quelle que soit sa citoyenneté, doivent fournir un résultat négatif à un test moléculaire de la Covid-19 ». C’est la loi ! 

Or, c’est aussi dans l’épreuve qu’on regarde défiler, sur l’écran noir de la réflexion, la liste de nos stupidités qui faisaient hier la fierté de nos frivolités dans l’illusion qui sécurise. Une culture de diversion pour scinder la nation en deux catégories a été appliquée par certains clans : les instruits et les analphabètes, les riches et les pauvres. Cette division séculaire fut supportée dans son essence par une distanciation sociétale des plus saugrenues. Pour la perpétuer et la consolider, aucune école sérieuse, digne de ce nom, n’a été construite dans l’arrière-pays.  Les paysans, la force vive de la nation, ont été exploités, trompés, discriminés sans vergogne et laissés à eux-mêmes. 

L’analphabétisme rébarbatif chez 95% de nos congénères en est une des conséquences délirantes, qui ont plombé notre développement et toute conscience sociale. L’apartheid sectoriel entre frères de sang a engendré des écarts déroutants. Le pillage irrationnel du pays sous toutes les coutures ne souffre d’aucun complexe. Les coffres-forts personnels débordent de fric et l’absence de toutes infrastructures sanitaires pour des soins minimaux, sont deux autres corollaires de notre légèreté qui a pour résultat, citant Boucar Diouf, de créer « un empire qui vacille sous le poids des divisions, des réclusions identitaires et des haines croisées ». 

La satisfaction dégoûtante et égoïste de se faire toujours soigner à l’étranger, via cette richesse occulte cumulée, s’avère être la norme. Le laisser-faire, le « laisser-grinnin » en raison de la vie de pacha déjà planifiée à se la couler douce en pays tiers, avait limité notre vision du futur, au point d’être surpris les culottes baissées par les aléas du destin, par ce virus à couronne, inattendu. 

Le refus de l’étranger de recevoir les riches contaminés, malgré leur fortune, leurs mirobolants placements sur son territoire, leur visa d’entrée, invite à une remise en question. Une interrogation sonore résonne au loin et vient « rebrasser » les cartes de l’incongruité en balayant d’un tour de main les fausses certitudes, les fallacieuses attentes, à savoir qu’étant riches à l’image du Blanc, nous serons acceptés chez eux, sans ambages, quoi qu’il advienne. 

Le fruit du remords, même amer, doit nourrir le futur de la nation

Nous ne souhaitons la mort de personne. Au contraire, nous prions le ciel pour leur prompt rétablissement, car l’homme blessé, ragaillardi, en se souvenant d’avoir frôlé l’inévitable, va s’arranger pour annuler la répétition du mal, surtout s’il avait erré par stupidité. Il se trouve dans l’obligation d’y remédier, sauf s’il est un cancre à lier. Même les animaux apprennent par l’exemple pour ne pas se heurter une autre fois au mur de la réalité. 

Ainsi naîtra la chance de la rédemption, de la résurrection d’Haïti, suite à un virage à 180 degrés de ces rêveurs impénitents qui vivaient dans le déni constant, dans la noirceur visqueuse de leur entêtement dans leur folie de grandeur, entraînant une nation entière dans la déchéance et dans la turpitude.           

Offrez-leur, surtout, l’occasion de se remettre à flot, de se reconstruire spirituellement, car l’homme est le forgeron de son destin. En ayant appris de leur légèreté, ils sont condamnés demain à conduire la société haïtienne vers l’union, la prospérité et le bien-être collectif, en étant frères avant toute chose. Quoiqu’on en dise, pour citer Anténor Firmin, « Un pays ne peut pas vivre définitivement sous l’empire de la misère et de la tyrannie ». 

Max Dorismond



 

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