Wednesday, December 14, 2016

Le créole source de régression académique

creole-education
Je suis en Haiti où je viens de participer à la Foire Internationale du Livre Haïtien (FILHA). J’ai signé deux titres, particulièrement mon essai « Paracréolistique ». Un condisciple à la fac de génie m’héberge chez lui. Sa femme et ses enfants vivent en dehors d’Haïti, donc il a trouvé un moyen de rendre utile sa grande maison vidée de sa famille en louant l’étage à un couple qui a un garçonnet de neuf ans, enfant unique. Il s’appelle Mesaul. Ses parents sont éducateurs et Mesaul va à une école huppée. Mesaul m’impressionne avec son langage. Un français fluide. Il avait ouvert la barrière de la maison pour laisser entrer la voiture ce qui me causa de le méprendre pour quelqu’un d’autre. Mais je vais tout de suite me demander dans le noir de la coupure d’électricité qui rendait son visage insaisissable qui est ce petit « tonton  qui me pousse » ce bon français. Chez lui, le français a établi sa permanence sur toutes les lèvres…ou presque. Il parle un peu d’anglais aussi. A neuf ans en Haïti, c’est déjà pas mal !
Mesaul n’aime pas le créole. Il me dit que ses camarades de classe ne l’aiment pas non plus. Eux tous manipulent le français admirablement bien et ne voient aucun avantage à parler le créole. Ils parlent le français également à la maison. Il me dit carrément que leur langue est le français même si le créole est leur langue maternelle.
Mesaul en veut au créole, cause selon lui de la chute de sa moyenne à l’école. Dans les classes antérieures où l’on n’enseignait pas le créole, il brillait. Maintenant il n’obtient que sept sur dix, alors que par le passé il en obtenait neuf. Apparemment ses notes en créole on fait dégringoler sa moyenne. Il n’avait pas prêté l’attention qu’il fallait à cette langue qu’on pense être inutile et sa moyenne en fit les frais. Si vous regardez mes carnets des années précédentes, vous verrez que pour toutes les matières, j’obtiens neuf sur dix alors, que le vieux créole (sic) a causé à ma moyenne de baisser. Je lui demande s’il ne sait pas que dire « vieux créole » c’est traduire directement du créole au français, il me dit qu’il ne sait pas mais c’est ainsi qu’il traite le créole, « vieux ». Ecris-tu le créole lui demande-je ? Il répond avec l’intonation que l’on nous connaît des Haïtiens lorsque nous répondons à une question qu’on n’aurait pas du poser: « écrire ! bon je ne parle pas le créole et tu me demandes si je l’écris ?» Il me dit qu’on lui enseigne à l’écrire mais lui il commet trop de fautes.
Je lui demande si ses parents communiquent avec lui en créole et il me répond que non, et ajoute « seulement lorsqu’ils sont en colère contre moi. » Il me dit qu’à l’université il étudiera probablement le droit mais il ne s’est pas encore décidé définitivement pour une discipline. Dans un tribunal ou tout se fait en français, les avocats qui parlent le français depuis leur tendre enfance ont a priori un avantage substantiel sur ceux qui ont trimé durement pour faire l’acquisition de langue dans les classes secondaires. Le droit serait donc un choix judicieux en tenant compte de la situation qui a toujours prévalu chez nous.
Mesaul joue un jeu de vidéo de Football sur son smartphone dépourvu d’une carte SIM. Il marque des buts et son équipe en reçoit aussi. Mais il à l’air de bien maîtriser le jeu. Il n’utilise le smartphone que pour les jeux. Sans un abonnement téléphonique il ne peut aller sur les réseaux sociaux ni naviguer la Toile. Je doute que ses parents lui donneraient la clé du Wi-Fi. Sage mesure de sécurité de ses parents pour son age. Il me dit que sa mère ne lui laisse pas utiliser l’unité lorsqu’elle n’est pas sur son sang (sic). Mesaul reste près de moi au moins une heure, jouant son jeu me posant des questions et moi m’émerveillant de l’accréditation de thèses avancées dans Paracréolistique.
En effet, avec Mesaul le créole est définitivement traité en parent pauvre. Il le traite de « vieux créole ». La compréhension créole du mot vieux dans ce contexte est foncièrement quelque chose de mauvais. Quelque chose qu’il faut mépriser, regarder avec dédain. Le fait que ses parents ne lui parlent qu’en français est déjà une indication qu’ils ne considèrent pas le créole comme une langue à laquelle leur fils devrait prêter trop d’attention. Paradoxal mais c’est la réalité de Port-au-Prince. Cependant leur langage de colère est le créole. Mais ce qui va se passer c’est que ce garçonnet apprend implicitement à haïr le créole qu’il n’entend de ses parents que dans les situations intenses d’anxiété. Dans les bons moments, dans les moments de joie, il entend le français. Lorsqu’il va être puni il entend le créole. Le résultat est catastrophique. Il est hostile au créole, il ne l’apprend pas bien, il commet plein de fautes lorsqu’il l’écrit. Conséquemment cela affecte sa performance à l’école. Pourtant cet enfant avait l’intelligence d’obtenir d’excellentes notes avant son exposition formelle au créole, avant que sa moyenne en dépendait. Avec un effort minimal il aurait put maintenir l’excellente moyenne. Mais, hélas, il est victime d’une mentalité délétère au progrès du pays.
La problématique que la paracréolistique appelle la francisation verbatim, ou analogie francophone affecte son langage. Cette problématique est celle de la traduction littérale d’une phrase ou d’un texte créole en français sans tenir compte du contexte et sans se demander si les mots charrient le même sens sémantique du créole au français[1]. Il parle du « vieux créole » et de sa mère qui n’est « pas sur son sang », ce qui signifie qu’elle est de mauvaise humeur. Ma surprise est quemême Mésaul face à cette problématique. Et pourtant il affirme ne pas bien connaître ce « vieux » créole. Cela pourrait être un mystère. Comment un petit qui ne maîtrise pas le créole, comme il le dit, arrive-t-il avoir tellement de créole en luiqu’il va jusqu’à le franciser verbatim ? A-t-il été « contaminé » par d’autres qui pratiquent cette francisation verbatim ou qui lui ont glissé ces termes ? La réalité est que Mesaul connaît plus de créole qu’il ne le sait. Mesaul est un petit créole et il ne le sait même pas. En ce sens l’attitude de Mesaul est à la limite de ce que la paracréolistique appelle misoïsme, un néologisme qu’elle invente pour traduire une haine injustifiée des siens, de son habitat, de son pays, de tout ce qui se rapporte à ses origines. Mais lui c’est seulement au créole qu’il s’en prend. Mésaul est un gentil garçon, aimable et très serviable. A mille lieues du petit terroriste qui corrige Frankétienne avec virulence le premier jour où l’auteur arrive à l’école, ne parlant que le créole. Nonobstant, les deux garçonnets ont bu à la même source, celle du mépris du créole. L’incident Frankétienne, je le reprends dans la paracréolistique. La sœur Félicienne lui demande son nom en français. Il ne comprend absolument rien de ce qu’elle dit. Le petit terroriste lui lanca: « ti makak, kote w soti ou pa wè si se non w li mande w ». Frankétienne appelle cet incident son acte fondateur.
Je vais laisser une copie de l’essai à ses parents et espère l’introduire lui-même à l’activité paracréolistique. L’essai et été rédigé pour des gens comme lui et ses parents qui ont de fortes compétences orales en créole. Il ne leur faut qu’un effort minuscule pour faire émerger des compétences au niveau lecture et écriture. Cela lui aidera sur plusieurs fronts. Il fera plus d’efforts pour maîtriser l’écriture du créole après avoir cassé le blocage mental de son infériorité. Il jouira du prestige que lui apportera le recouvrement de sa moyenne 9. Il n’utilisera plus l’appellation de vieux pour décrire le créole et sera aussi conscient des écueils de la francisation verbatim.
Au demeurant le créole n'est pas vraiment la source de la régression académique de Mesaul. Il en est lui-même la source. Victime de la mentalité que lui a transmise fidèlement le milieu. Cela est vraiment dommage!

Par : Marc-Arthur Pierre-Louis brb@brbmi.com


Tuesday, December 13, 2016

HAITI: FAILED PRIVATE SECTOR, FAILED STATE!

By Joel Leon
Joel Leon
“The amalgamation of a failed private sector with kidnapping, drug trafficking, bad government constitutes the most important reason that explains Haiti’s failure in its quest to build a nation-state. Unfortunately, the United States government, symbol of nation building, is often on the wrong side of history in Haiti.”



I am not comparing the US economy to Haiti’s considering this country’s long business tradition, and the vast amount of wealth created for the past two centuries. However, I want to stress the responsibility of the private sector in America versus the one operating in Haiti. Sometimes, people straightforwardly ask if there is a private sector in Haiti because there is no evidence that suggests otherwise.


The private sector is “the part of the economy that is not under the government’s control”; it is protected by a bunch of laws that guarantee its growing existence to maturity with only one goal: making profits. In Haiti, there is a concoction of roles. It seems that the private sector, the public sector, and the charities are working together in an evil way to crush the people. I remember right after the earthquake that destroyed Port-Au-Prince, the capital of Haiti, in January12th, 2010, I witnessed the rich people intertwining with the poor for a long period of time to benefit from the humanitarian aid. In some other countries, one would see something different. The rich would provide aid to the vulnerable souls. The most disgusting part remains: after a euphoric poor people-rich people interaction, the economic class, at first, monopolized the free international aid distribution. Later, it sold at an expensive price to the poor the same goods that the latter individuals were morally and legally entitled to.
In addition to profit-making, the private sector is morally obligated to create jobs. Without purchasing power, the potential customers won’t be able to consume and pay their bills. Hence, the consequences will be automatically disastrous even for those who own the means of production. Why? Because there is no consummation! -- Production will be hurt. No profit. This unbalanced equation is contrary to capitalism whose reality, among others, consists of employers making profits at the expense of employees’ labor. One may thusly summarize this reciprocal relationship: no jobs, no profits!

I believe that the Haitian private sector doesn’t get it. Right after the Duvalier’s dynasty’s departure in February 1986, international financial institutions such as the IMF, the World Bank, IDB (Inter-American Development Bank) …tried to impose their view on how to run Haitian finances. In fact, they expected to develop capitalism in Haiti to definitely put an end to feudalism. The only problem is and continues to be that the Haitian economic class has never been ready for such an adventure. Under pressure from the aforementioned institutions, the local government sold the cement and flour companies to the private sector. Just one year after the deal, both businesses closed their doors. Then, follow a shortage of cement and flour. Subsequently, many hundreds of people lost their jobs. Unemployment was rampant. Social unrest created a chronic instability. Worse yet, there is no unemployment benefit in Haiti which could have alleviated the jobless individuals’ burden.
Haiti is a poor country, among others, with 41% unemployment rate, 48% illiteracy rate, and 60% of people living below the poverty line. At the same time, a hand full of 5 families control the entire wealth. I remember talking to an American professor about how many billionaires we have in Haiti. At the beginning, he started to laugh at me. The paradox is that we have several Haitian billionaires. The US government has tried on many occasions to stimulate the private sector in Haiti through many programs such as Food Conservation and Energy Act (HOPE) in 2006; Haitian Hemispheric Opportunity through Partnership Encouragement Act (HOPE II) (2008); in 2010, Haiti Lift Program (HELP). All of these initiatives have been put in place to stimulate foreign investment in Haiti, and to rally the private sector to redeem itself by profiting from those programs those open doors via “Eligibility for duty-free treatment “under the Caribbean Basin trade partnership Act (CBTPA)”. The main goal was to create jobs; the Haitian private sector didn’t seize the opportunity.

The Haitian Diaspora which is sending more than 2 billions of dollars in Haiti each year is not welcome to participate actively in the economic and political process. Those 5 families in command of the economy are hostile to the Diaspora who is trying to invest in Haiti. Yet, “Haitian-Americans are among the most successful immigrant groups in the United States”. Last year, Haiti’s GNP showed a deficit of 2.5 billions of dollars because we exported for 1.029 billion dollars, while we imported for 3.445 billions of dollars. Haitian businessmen operate as a mafia organization. They burn businesses, kidnap family members and shoot people like dogs in the streets if you are not one of them…They monopolize all vital aspects of the economy: from tourism, textile, production, consummation, government and private institutions. At the same time, they are not taking any serious measures to develop the economy to create jobs for the people. They are fiercely against all sorts of competition. They favor monopoly. Customers are totally screwed up.

Now, let’s talk about the dilemma private sector vs. the public sector. Everywhere in the world, nations are developing a public/private partnership to better serve the people and themselves. In Haiti, businessmen own the public sector. The rich maintain their grips on governmental institutions. All of them! There is no balance of power, meaning no accountability to any mischief caused by powerful economic individuals. That’s why they have always supported, financed and corrupted presidential candidates in each election. The last known was taking place on November 20th, 2016. The big business supported the “statu quo” represented by Jovnel Moïse. He is a businessman who is being investigated for money laundering, racketeering, and drug connection by the country’s highest financial court (Cour Supérieure des Comptes known by its acronym CSC). He was handpicked by Michel Martelly himself, the former Haitian president.

Let me tell a true story that happened last year in Haiti. There is a powerful guy named Jacques Kétant. He was arrested in 2003 because his bodyguard went inside of a school attended by US embassy personnel’s children to murder broad daylight a government official. Jacqueline Charles, from Miami Herald, delivered her opinion about Mr. Ketant as follow: “Considered the Pablo Escobar of Haiti, Ketant lived a lavish lifestyle in Haiti, where he was an untouchable kingpin until Aristide gave in to U.S. pressure in 2003 and expelled him. He was soon sentenced to 27 years in prison after pleading guilty to smuggling 30 tons of cocaine from Haiti to the United States.” On August 18th, 2015, US judicial system decided to deport him back to Haiti after serving half of his sentence because the court found him to be cooperative. Many drug dealers have been arrested and sentenced to long prison terms. Upon his return to Haiti, Mr. Kétant was greeted and picked up at the airport by Roro Nelson and Gracia Delva. Mr. Nelson is among former president Michel Martelly’s closest friend for years; some people believe that he was there to welcome Mr. Kétant under Mr. Martelly’s expressed demand. Similarly, Mr. Gracia Delva, an actual member of the parliament, is a deportee from the United States. Delva is about to be a senator very soon. Among other Martelly’s allies known for their anomic activities are: Guy Philippe (pursued by DEA as a fugitive for drug trafficking); Youri Latortue, him also senator, has been involved in drug activities, according to Wikileaks; Joseph Lambert, freshly reelected to senate, also has a drug connection; Willot Joseph, newly elected senator, has been implicated in drug trafficking. The Haitian senate is going to be filled up with a bunch of “drug dealers”.

Additionally, it is noteworthy to highlight the case of Clifford Brandt, a well-known businessman. He is also the son of one of the richest families in Haiti. Arrested for kidnapping in 2012, he was sentenced this year to spend 18 years in prison, after a long trial that lasted 4 years. He was identified as the closest friend of Olivier Martelly, former president Joseph Martelly’s son.

Former US ambassador to Haiti, Mr. Brian Dean Curran, in his farewell speech before leaving the country, addressed the chamber of commerce in Haiti by saying: “Yes, well-known drug traffickers. They buy from your stores; you sell houses to them or build new ones. You take their deposits to your banks. You educate their children, and you elect them to positions in chambers of commerce.” In front of many businessmen of the country, Mr. Dean Curran denounced them how they have no respect for themselves by using “dirty money” to make profits. Here is a short prospect about the Haitian bourgeoisie: all deviant actions are welcome to make money including placing corrupted leaders to power.

When Jean B. Aristide got elected to power in 1991, his program was essential to fight inequality in Haiti. His government published a list of hundreds of businessmen who owed a lot of money to the state. Instead of starting to pay or make payment arrangements, they instead financed a multi-million dollar military coup against the elected and legitimate president (of course with CIA/state department’s help). The consequences were catastrophic: 5000 deaths and 100.000 refugees. Therefore, the private sector in Haiti is against progress and is indirectly fighting social stability. The business sector spent 13 years fighting each attempt to normalize the social and political situation.

The last successful attempt, supported by the Clintons, was to parachute Joseph Martelly in power--a man who admitted that he had been a drug addict/dealer; he was denounced as a spy for “FRAPPH”, a defunct terrorist organization known for its misogyny, brutality, and political assassination. While in power, Martelly conceded a contract to Tony Rodham, Hillary Clinton’s brother to exploit Haitian gold estimated at 25 billions of dollars. That is a typical case of the so-called “Pay to play” game. For five straight years, the former head of state looted public funds, “legalized drug trafficking”, promoted prostitution, domesticated public institutions at the highest level via bribes and huge kickbacks. Here we are enduring Martelly’s dire economic heritage: 3 billion US dollars debt, a 300 million US dollars budget deficit. Be it reminded that when Martelly got to the power in 2011, he found 1.9 billion dollars in the public treasure. Furthermore, the country had zero debt. Do the math! You will measure Martelly’s economic abyss’ dept. 

“The amalgamation of a failed private sector with kidnapping, drug trafficking, bad government constitutes the most important reason that explains Haiti’s failure in its quest to build a nation-state. Unfortunately, the United States government, symbol of nation building, is often on the wrong side of history in Haiti.”
Joel Leon

References:
CNBC, Jeff Cox: “US private sector created 216.000 jobs in November…” November 30th
Democratic Policy and Communications Center (DPCC)
www.Investopedia.com
International Trade Administration (ITA) – Haitian Hemispheric Opportunity through Partnership Encouragement Act 2006 HOPE I
Food conservation and energy Act of 2008, HOPE II
Haiti Lift Program Act 2010, HELP
Caribbean Basin Trade Partnership Act CBTPA
Center for Strategic and International Studies “The role of the Haitian Diaspora in building Haiti back better (June 24th, 2011)
Miami Herald “Cocaine Kingpin Jacques Ketant Back in Haiti”, Jacqueline Charles, August 18th, 2015
Haïti Express-News “ Haïti Mogul Drug Dealer, Jacques Ketant, Accueilli par Gracia Delva et Roro Nelson… » April 19th, 2015
Nouvelliste « Petro Caribe, Un Vaste Crime Économique », May 16th, 2016

Élection de Jovenel Moïse : Un K.-O. à la démocratie haïtienne

    
                  

Roromme Chantal Professeur de science politique à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton                               


Les résultats préliminaires des élections du 20 novembre dernier en Haïti ont été accueillis dans l’enthousiasme général. Compte tenu du contexte chaotique de la transition en cours, caractérisé par une grave crise humanitaire, une économie nationale exsangue et l’instabilité politique, ce double scrutin présidentiel et législatif a été présenté comme une ultime « chance », après les deux tentatives avortées de 2015 et 2016. Il était perçu comme l’occasion pour le pays de renouer avec une certaine prospérité, après des années de gabegies administratives et de souffrances sous la présidence de Michel Martelly.
 
Cet optimisme relatif à l’issue pacifique des élections en Haïti relève au mieux d’une méconnaissance de la complexe réalité du pays. Il n’a de sens que dans le cadre d’un « électoralisme vide de sincérité », c’est-à-dire la formule générale selon laquelle des élections sans fraudes équivalent à la démocratie et reflètent nécessairement l’intérêt général. Comme l’a montré le politologue Guy Hermet, « la démocratie ne conquiert les hommes que lorsqu’elle prend figure de valeur sûre pour la promotion des masses ». C’est en ce sens que l’issue des dernières élections en Haïti peut inspirer au moins deux déceptions majeures.

Le pouvoir des nantis
Une première déception vient du fait que c’est Jovenel Moïse, le poulain de Michel Martelly, qui a été déclaré vainqueur dès le premier tour de la présidentielle. Nommé en 2015 candidat à la présidence par le président sortant, il semblait disposer de moyens exorbitants à la mesure de ses ambitions politiques. Mais, face à des adversaires jouissant incontestablement d’une certaine popularité, quoiqu’en ordre dispersé, on peut douter de la sincérité de tels résultats. D’autant que cette victoire triomphale du candidat de Michel Martelly n’est pas sans rappeler la tentative de celui-ci en 2015 de mettre l’opposition K.-O. en faveur de son poulain, avant de capituler devant des d’allégations unanimes d’« irrégularités et fraudes massives ».
 
S’il réussissait cette fois, Jovenel Moïse inaugurerait sa présidence avec un double handicap: l’image d’un président de la continuité et surtout celle d’être, à l’instar de son parrain, Michel Martelly, le président des nantis d’Haïti, qui ont généreusement arrosé sa campagne de leur financement opaque. Habile, l’entrepreneur agricole s’emploiera durant sa campagne électorale à prendre une certaine distance envers l’ancien président et de son entourage immédiat. Mais en vain. Avant même sa prise de fonctions, certains analystes assimilent déjà l’arrivée au pouvoir de Jovenel Moïse à une « catastrophe » et rappellent volontiers le bilan controversé de son mentor: corruption à grande échelle, dysfonctionnement institutionnel, impunité pour les proches du pouvoir...

Une myopie politique 
En outre, l’espoir né des dernières élections en Haïti est considérablement infléchi si l’on suit les premiers propos de Jovenel Moïse à la suite de l’annonce de sa victoire. Il y a repris, pour l’essentiel, son slogan de campagne de « mobiliser toutes les ressources du pays: les gens, la terre, le soleil, les rivières afin de mettre de la nourriture dans les assiettes du peuple et de l’argent dans ses poches ».
 
Pourtant, l’absence des grandes questions qui préoccupent la nation haïtienne a mis en évidence la myopie politique qui caractérise ses élites dirigeantes et l’indigence de leurs ambitions et projets politiques. On n’a noté aucune mention des problèmes importants. Sur le plan politique, si Jovenel Moïse a fort heureusement reconnu que « la stabilité politique est le premier des biens publics », il n’a en revanche rien dit sur les moyens qu’il compte mobiliser afin d’y parvenir, outre la tenue d’élections régulières. Sur la question de la corruption, qui gangrène une administration publique haïtienne pléthorique, le silence sonore du président élu n’a visiblement rien de rassurant. D’où ma sensation que, davantage qu’une défaite humiliante pour ses adversaires politiques, l’élection triomphale de Jovenel Moïse à la présidence équivaut plutôt à un K.-O. porté à la fragile démocratie haïtienne.

Restaurer le rêve haïtien
Car, les problèmes susmentionnés sont, je crois, partagés par tous ceux qui souhaitent la restauration du rêve haïtien et, j’imagine, par Jovenel Moïse lui-même dont je ne doute de l’amour pour son pays. Il faut même lui reconnaître le mérite de vouloir gouverner le pays loin des excès et de la mégalomanie qui ont souvent fait des hommes de pouvoir en Haïti ses ennemis intimes. Cette volonté est, par exemple, clairement exprimée dans son premier message à la nation dans lequel il lance un appel bienvenu à tous ses compatriotes de bonne volonté qu’il souhaite associer à son gouvernement.
 
Ce qui est plutôt en cause c’est la limite de sa vision qui, comme dans le cas de ses prédécesseurs, renvoie à ce que les sociologues décrivent comme une « idéologie bioéconomique », selon laquelle « manger » paraît la demande principale des masses pauvres du pays. Qu’une majorité des Haïtiens aient aujourd’hui faim ne souffre d’aucune contestation. En même temps, les Haïtiens ont des aspirations plus grandes que ce besoin, aussi urgent soit-il. Ils rêvent de voir la démocratie consolidée, d’avoir un pays où la lutte politique pacifique est institutionnalisée, d’être fiers de vivre dans un pays qui cesse d’être régulièrement mis au ban aux côtés des républiques bananières.

Un pacte de gouvernabilité
C’est pourquoi, si j’avais un accès direct au président élu haïtien, Jovenel Moïse, je ferais mieux que simplement publier ce texte. Je ferais ce que je crois que tous ceux qui aiment ce coin de terre meurtri devraient faire, c’est-à-dire convaincre le nouveau mandataire de s’attacher davantage aux principes républicains qu’à ses amitiés. Et d’engager immédiatement toutes les forces vives de la nation dans l’organisation d’une Conférence nationale qui déboucherait sur la conclusion d’un pacte de gouvernabilité.
 
L’institutionnalisation d’un tel pacte permettrait à coup sûr de créer la confiance sans laquelle les milieux d’affaires nationaux et internationaux resteront nerveux et continueront de fuir le pays. Et, sans un tel climat de confiance, même le projet de relance de la production nationale, si cher au président en voie d’être élu, demeurera illusoire. C’est aussi à cette condition que notre pays attirera une quantité importante de touristes dont le refus d’Haïti comme destination privilégiée repose moins sur la qualité de notre nature très plaisante que sur celle du climat politique. C’est, enfin, à cette condition qu’Haïti pourra mobiliser sereinement ses forces, ressources et énergies au seul combat qui vaille, celui de la liberté et de la lutte contre la misère et l’ignorance.

Sunday, December 11, 2016

Les deux côtés de la médaille du régime Castro


2016/12/09 | Par Louis Duclos
L’auteur est un ex-député fédéral de Montmorency-Orléans (1974-1984)

Il faut convenir que la déclaration du premier ministre Trudeau au lendemain de l’annonce du décès de Fidel Castro était plutôt maladroite. Autant il était pertinent de saluer les progrès considérables de la société cubaine, notamment au chapitre de l’éducation et des soins de santé, pendant son long règne, autant il est regrettable qu’il ait passé sous silence le caractère dictatorial de son régime et son bilan peu glorieux en matière de respect des droits fondamentaux de ses concitoyens.

Cela étant dit, il est impératif de rappeler que le régime Castro s’est toujours retrouvé en mode d’autodéfense en raison de la menace constante de son renversement résultant d’un coup d’État fomenté par la CIA. D’ailleurs, l’invasion ratée de la baie des Cochons en avril 1961 illustre bien la volonté de l’impérialisme américain de liquider Fidel Castro et son régime par la force militaire avec la complicité des éléments les plus rétrogrades de la société cubaine.

On lui aurait ainsi fait subir le même sort que celui qui avait été réservé au président réformiste du Guatemala, Jacob Arbenz, en 1954 et qui fut  aussi celui du président chilien, Salvador Allende, en 1973.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’étonner que Fidel Castro ait été habité par un fort sentiment d’insécurité le portant à mettre à l’écart quiconque n’endossait pas aveuglément les diktats de son gouvernement. Il s’agit là de circonstances atténuantes qui ne rendent pas moins répréhensible la brutalité de son régime, mais qui, cependant, expliquent sans doute son comportement abusif à l’endroit des dissidents parmi ses concitoyens.

Cette controverse aura toutefois permis d’exposer au grand jour l’hypocrisie de la filière « trumpiste » canadienne qu’incarnent notamment les députés conservateurs Maxime Bernier et Gérard Deltell qui, après avoir accusé Justin Trudeau d’occulté le côté sombre du règne de Fidel Castro, ont eu recours au même procédé en fermant les yeux sur les importantes réformes réalisées par son gouvernement au bénéfice du peuple cubain.
Il faut vraiment être de mauvaise foi pour ne pas reconnaitre que Cuba constitue aujourd’hui un pays qui se distingue en raison du fort taux d’alphabétisation de sa population et aussi en raison de la qualité exceptionnelle de son système de soins de santé.

Ayant vécu quelques années en Amérique du sud au cours de la décennie 1960, je me souviens très bien de l’immense popularité dont jouissait Fidel Castro chez les moins bien nantis qui caressaient l’espoir que des chefs politiques de son calibre émergent dans leurs pays et entreprennent les réformes socio-économiques dont profitait déjà le peuple cubain, et ce, malgré l’étranglement de son économie par les politiques revanchardes de l’administration américaine.

Tout bien considéré, la question la plus pertinente que l’on puisse poser au sujet du bilan du régime Castro est la suivante: que serait Cuba aujourd’hui si ce pays n’avait pas connu la révolution castriste ? Il est plus que probable que Cuba serait une réplique de ce qu’il était sous le régime Batista des années 1950, c’est à dire que le peuple cubain serait encore peu scolarisé, que son système de santé serait toujours très rudimentaire, que la mendicité y serait encore fort répandue, qu’il serait comme autrefois le bordel des Américains et surtout que son peuple n’afficherait pas la dignité qu’on lui connait aujourd’hui.