Par : Emmanuelle Gilles
Plusieurs articles ont circulé sur le net concernant la gestion de
l’ancienne Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, (CIRH) sous
la présidence de Bill Clinton et de Jean Max Bellerive.
Sans vouloir prendre la défense du président américain, qui
d’ailleurs avait fait son mea culpa d’avoir affaibli davantage notre production
de riz à travers une politique de dépendance alimentaire forcée pénalisant nos
cultivateurs et restreignant notre production nationale, je peux affirmer que
le rôle du président Clinton au sein de la CIRH n’avait rien à voir avec le
« Fonds de la Reconstruction ». Car il existait deux organismes avec des rôles
différents, l’un (CIRH) servant d’unité de coordination et l’autre (HRF)
servant d’agence d’exécution pour les fonds de la reconstruction au sein de la
Banque mondiale. Je me permets de clarifier pour ceux qui sont intéressés à comprendre
les détails, en long et en large, du Fonds pour la reconstruction d’Haïti. Tout
d’abord , la CIRH était un instrument purement haïtien dont la loi sur son
existence a été créée par l’exécutif et ratifiée par le Parlement haïtien. Le
président Clinton a été invité par une lettre écrite de Préval à coprésider la dite
commission. L’ancien président Préval et l’ancien Premier ministre Jean Max
Bellerive seraient plus aptes à rendre compte et informer le public sur la
gestion du CIRH, ce qui éviterait aux deux avocats haïtiens à se ridiculiser
auprès des instances internationales.
Certainement, nos compatriotes doivent être tenus informés des
détails du Fonds pour la reconstruction à partir des informations justes et
honnêtes. On peut comprendre que le gouvernement a failli en ce sens. Ceux qui
diffusent l’information doivent alors consentir de faire l’effort de rechercher
dans la bonne direction. Le métier de journaliste exige l’observance d’une
éthique, ce qui est rare dans notre culture. Les propagandes dominent trop
l’actualité. Depuis un certain temps, nous constatons littéralement les dérives
de ce métier, où des gens publient n’importe quoi sur n’importe qui. Certains
reporters haïtiens malheureusement n’ont pas une grande formation ou expérience
dans le journalisme investigateur, le métier est donc souillé entre
propagandes, mensonges et vérités. Les lecteurs sont très souvent induits en
erreur. Un éclaircissement et une clarification s’imposent, car l’utilisation
des arguments falsifiés ne devrait en aucun cas être admise. Pour l’édification
de ceux parmi nous qui croient encore en l’intégrité du métier, j’ai le plaisir
de partager les détails ci-après en guise d’information.
HISTORIQUE DE LA CIRH
Bellerive, Martelly et Clinton s'entretiennent sur la CIRH |
En ce qui a trait à la structure du CIRH aussi bien que son rôle
dans le processus de la reconstruction, il y a lieu de préciser que le plan de
reconstruction, qui a été approuvé durant la réunion des bailleurs organisée
par le président Clinton aux Nations unies, relevait d’une stratégie
multisectorielle et ne visait pas uniquement la reconstruction des bâtiments de
l’État. Chacun des bailleurs avait formulé son intérêt pour un secteur
prioritaire, tels que environnement, éducation, gouvernance, énergie, santé
infrastructures, etc. Le plan donc touchait tous les secteurs du développement
d’Haïti.
STRUCTURE ET MODALITÉ D’OPÉRATION
La CIRH gérait uniquement les fonds des opérations de la
Commission et non les fonds de la reconstruction. Celui qui était chargé du
fonds de fonctionnement de la CIRH était un Haïtien du nom de Gabriel Verret.
Ce fonds servait à financer uniquement le Bureau de la CIRH. Grosso modo, la
Commission coordonnait et analysait les projets des bailleurs dans le but de
coordonner les activités et s’assurer qu’ils s’inscrivent dans le contexte du
plan global qui a été approuvé. En clair, les fonds de la reconstruction ont
été transités uniquement par la Banque mondiale et non par la CIRH.
LA CIRH A-T-ELLE ÉTÉ UN ÉCHEC ?
On peut argumenter que la CIRH a été un échec mais non pas pour
des raisons de mauvaise gestion de la Commission comme on veut le faire croire
de façon erronée, mais plutôt à cause d’une ambiguïté en rapport au rôle de
l’État haïtien qui n’était pas clair et n’avait pas suffisamment de pouvoir de
décision sur les projets soumis par les différentes agences de développement et
les ONG internationales.
QUEL ÉTAIT L’ORGANE RESPONSABLE DU FONDS POUR LA RECONSTRUCTION
Je voudrais particulièrement attirer votre attention sur le fait
que les milliards annoncés constituaient non pas de fonds reçus au total, mais
des annonces de contributions qui devront être déjà honorées et transmises à la
Banque mondiale selon les modalités d’exécution retenues pour la gestion du
Fonds pour la reconstruction. Cependant, certains pays ont préféré transiter
leurs fonds à travers leur propre agence de développement sur place pour des
projets qu’ils auraient choisi eux-mêmes et financés par eux. C’est le cas de
l’USAID, l’agence de coopération canadienne, l’agence de développement
espagnole, etc. Il faut faire une distinction entre les agences de
développement et les ONG. En principe, le gouvernement haïtien est signataire
de tous les projets du HRF (Haïti Reconstruction Fund), qui est également
représenté en Haïti à travers la succursale de la Banque mondiale. (HRF
SECRÉTARIAT -Ministry of Planning and External Coopération -387, route de
Bourdon, Port-au-Prince, Haïti -Tél : (509) 3798-0817).
Toutes informations concernant le Fonds pour la reconstruction
sont disponibles sur le site de la HRF. En principe, l’agence qui doit rendre
compte des détails du Fonds pour la reconstruction, c’est la Banque mondiale et
non le président Clinton qui d’ailleurs avait joué un grand rôle pour organiser
cette conférence de bailleurs en faveur d’Haïti et permettre qu’Haïti ait reçu
une promesse de 11 milliards. Les informations sur les contributions annoncées
(pledge) et celles reçues des bailleurs sont disponibles au grand public, aussi
bien que les détails sur les opérations du Fonds pour la reconstruction -
http://www.haitireconstructionfund.org/members- autrement, comment exiger aux
Américains, aux Canadiens, aux Français des comptes sur la gestion de leur
argent ? Mais peut-on demander des comptes à l’USAID par exemple sur ses
propres fonds après que ses projets avaient été soumis à la CIRH et exécutés
par USAID, ou le gouvernement canadien pour les fonds de l’ACDI ? A titre
d’exemple, lorsque Médecins sans Frontières ont présenté ses projets à hauteur
de 40 millions pour être approuvé par la CIRH, ce projet a été enregistré par
la CIRH mais cette somme est le financement propre des Médecins sans frontières
exécutés par eux-mêmes. Il appartient au gouvernement respectif des bailleurs
de faire un audit de leurs projets en Haïti. N’étant pas une agence
d’exécution, la structure de la CIRH ne lui permettait pas de gérer le Fonds
pour la reconstruction ni d’accorder des contrats à quiconque. Étant juste un
instrument de coordination, les contrats n’ont pas été établis par la CIRH mais
entre le HRF à travers la Banque mondiale et le gouvernement Haïtien. Le
président Martelly ne devrait pas être imbu du rôle de la CIRH, j’avais bien
noté son ignorance du rôle de cette commission dans son discours d’investiture.
En réalité, tous pensaient pouvoir faire leur beurre des milliards qu’ils
croyaient que le président Clinton gérait à travers la CIRH, c’est pourquoi il
existe encore tant de palabres autour de la CIRH et la gestion de Clinton. Peu
savent que Clinton ne gérait pas un dollar du Fonds. Tout le monde parle de
milliards mais aucun n’a fait son devoir de recherche pour connaître les
procédures, les modalités et le total des contributions reçues et par quelle
entité? Ils ne peuvent faire une distinction entre contribution annoncée
(pledge) et contribution reçue. C’est bizarre de constater combien les
milliards annoncés pouvaient faire tourner tant de têtes au point que des
avocats malveillants aient essayé indignement d’intenter un procès à l’ancien
président américain pour les milliards qui n’ont même pas été mobilisés. Des
Haïtiens ont même protesté devant le bâtiment de la Fondation Clinton réclamant
de l’argent volé, ce que je trouve embarrassant pour nous en tant que peuple et
en tant que nation.
MONTANT TOTAL REÇU PAR LE FOND POUR LA RECONSTRUCTION D’HAÏTI
Il est impérieux de vous informer que certains pays n’ont
jusqu’ici versé un centime de ce qu’ils avaient promis, d’autres ont honoré
seulement une partie de leur « pledge ». En tout, la Banque mondiale, en sa
qualité de Fonds pour la reconstruction, a reçu seulement 381 millions jusqu’en
2014 sur les 11 milliards annoncés. Ces montants ont été programmés pour des
projets devant être exécutés en partenariat avec le gouvernement, dont une
partie était affectée au budget de l’État haïtien. La Banque mondiale aurait
gardé aussi près de 119 millions en réserve en 2014. Ce montant n’inclut pas
les projets exécutés en direct par les agences de développement et qui, je
présume, faisaient partie des contributions annoncées mais ne sont pas
transités par le Fonds pour la reconstruction, ni non plus des fonds transférés
directement au gouvernement Haïtien comme par exemple le gouvernement de l’Inde
qui avait transféré$ US 5 millions directement au gouvernement haïtien sans
transiter par le Fonds.
Sur ce site - Haiti Reconstruction Fund, vous
trouverez tous les projets du Fonds pour la reconstruction (HRF) de la Banque
mondiale avec les montants alloués par secteur et le budget prévu pour chacun
des projets. Une agence qui n’apparaît nulle part, c’est la Croix-Rouge américaine
qui avait annoncé une contribution de 450 millions qu’elle aurait collectée
pour Haïti. Cette agence devrait rendre compte des 450 millions qui ne sont pas
transférés au HRF de la Banque mondiale et dont les projets n’étaient pas
présentés à la CIRH dans le cadre du programme de coordination de projets de la
CIRH. Comment les Fonds pour la reconstruction ont été alloués jusqu'ici par la
Banque mondiale et le gouvernement haïtien:
67% pour des projets à hauteur de $ 2645 millions;
2% frais de gestion $ 9,5
millions
1% budget administratif $
3.83 millions
30% non alloués – $ 119 millions
Que finance le Fonds pour la Reconstruction (HRF) ?
48% logements - $132 millions
15% gestion et ramassage des débris $ 42 millions
11% éducation - $ 30 millions
13% création d’emplois - 37 millions .
4% renforcement des
capacités - 1 million
12% multisectoriel – 33 millions
Si les résultats ne sont pas visibles, nous aurions encore fait
l’expérience de l’inefficacité de l’assistance au développement. Rien de
nouveau ! L’impact des projets traitant de sujets thématiques comme la
gouvernance, la réforme de l’administration publique, la réforme judiciaire,
politique environnementale ne sera jamais visible, car les interventions ne
contribuent pas nécessairement à l’économie mais tout au plus servent à
renforcer les capacités au niveau gouvernemental. Il est temps qu’on arrête de
compter avec l’argent des autres, de pleurnicher sur des milliards que nous
n’avons pas. Nous aurions beaucoup plus de mérite à développer des moyens de
générer nos propres ressources avec tout le potentiel que nous possédons en
termes de ressources naturelles et humaines. Évitons les propagandes gratuites
qui nous discréditent. Le président Clinton non seulement ne gérait pas
l’argent de la reconstruction, mais il touchait la somme symbolique d’un dollar
pour son travail en qualité d’Envoyé spécial de l’ONU. Apprenons à respecter
les autres pour que nous bénéficiions de leur respect.
Emmanuelle Gilles 14 janvier 2015
Une illustration de HCC