Je suis en Haiti où je viens de participer à la Foire Internationale du Livre Haïtien (FILHA). J’ai signé deux titres, particulièrement mon essai « Paracréolistique ». Un condisciple à la fac de génie m’héberge chez lui. Sa femme et ses enfants vivent en dehors d’Haïti, donc il a trouvé un moyen de rendre utile sa grande maison vidée de sa famille en louant l’étage à un couple qui a un garçonnet de neuf ans, enfant unique. Il s’appelle Mesaul. Ses parents sont éducateurs et Mesaul va à une école huppée. Mesaul m’impressionne avec son langage. Un français fluide. Il avait ouvert la barrière de la maison pour laisser entrer la voiture ce qui me causa de le méprendre pour quelqu’un d’autre. Mais je vais tout de suite me demander dans le noir de la coupure d’électricité qui rendait son visage insaisissable qui est ce petit « tonton qui me pousse » ce bon français. Chez lui, le français a établi sa permanence sur toutes les lèvres…ou presque. Il parle un peu d’anglais aussi. A neuf ans en Haïti, c’est déjà pas mal !
Mesaul n’aime pas le créole. Il me dit que ses camarades de classe ne l’aiment pas non plus. Eux tous manipulent le français admirablement bien et ne voient aucun avantage à parler le créole. Ils parlent le français également à la maison. Il me dit carrément que leur langue est le français même si le créole est leur langue maternelle.
Mesaul en veut au créole, cause selon lui de la chute de sa moyenne à l’école. Dans les classes antérieures où l’on n’enseignait pas le créole, il brillait. Maintenant il n’obtient que sept sur dix, alors que par le passé il en obtenait neuf. Apparemment ses notes en créole on fait dégringoler sa moyenne. Il n’avait pas prêté l’attention qu’il fallait à cette langue qu’on pense être inutile et sa moyenne en fit les frais. Si vous regardez mes carnets des années précédentes, vous verrez que pour toutes les matières, j’obtiens neuf sur dix alors, que le vieux créole (sic) a causé à ma moyenne de baisser. Je lui demande s’il ne sait pas que dire « vieux créole » c’est traduire directement du créole au français, il me dit qu’il ne sait pas mais c’est ainsi qu’il traite le créole, « vieux ». Ecris-tu le créole lui demande-je ? Il répond avec l’intonation que l’on nous connaît des Haïtiens lorsque nous répondons à une question qu’on n’aurait pas du poser: « écrire ! bon je ne parle pas le créole et tu me demandes si je l’écris ?» Il me dit qu’on lui enseigne à l’écrire mais lui il commet trop de fautes.
Je lui demande si ses parents communiquent avec lui en créole et il me répond que non, et ajoute « seulement lorsqu’ils sont en colère contre moi. » Il me dit qu’à l’université il étudiera probablement le droit mais il ne s’est pas encore décidé définitivement pour une discipline. Dans un tribunal ou tout se fait en français, les avocats qui parlent le français depuis leur tendre enfance ont a priori un avantage substantiel sur ceux qui ont trimé durement pour faire l’acquisition de langue dans les classes secondaires. Le droit serait donc un choix judicieux en tenant compte de la situation qui a toujours prévalu chez nous.
Mesaul joue un jeu de vidéo de Football sur son smartphone dépourvu d’une carte SIM. Il marque des buts et son équipe en reçoit aussi. Mais il à l’air de bien maîtriser le jeu. Il n’utilise le smartphone que pour les jeux. Sans un abonnement téléphonique il ne peut aller sur les réseaux sociaux ni naviguer la Toile. Je doute que ses parents lui donneraient la clé du Wi-Fi. Sage mesure de sécurité de ses parents pour son age. Il me dit que sa mère ne lui laisse pas utiliser l’unité lorsqu’elle n’est pas sur son sang (sic). Mesaul reste près de moi au moins une heure, jouant son jeu me posant des questions et moi m’émerveillant de l’accréditation de thèses avancées dans Paracréolistique.
En effet, avec Mesaul le créole est définitivement traité en parent pauvre. Il le traite de « vieux créole ». La compréhension créole du mot vieux dans ce contexte est foncièrement quelque chose de mauvais. Quelque chose qu’il faut mépriser, regarder avec dédain. Le fait que ses parents ne lui parlent qu’en français est déjà une indication qu’ils ne considèrent pas le créole comme une langue à laquelle leur fils devrait prêter trop d’attention. Paradoxal mais c’est la réalité de Port-au-Prince. Cependant leur langage de colère est le créole. Mais ce qui va se passer c’est que ce garçonnet apprend implicitement à haïr le créole qu’il n’entend de ses parents que dans les situations intenses d’anxiété. Dans les bons moments, dans les moments de joie, il entend le français. Lorsqu’il va être puni il entend le créole. Le résultat est catastrophique. Il est hostile au créole, il ne l’apprend pas bien, il commet plein de fautes lorsqu’il l’écrit. Conséquemment cela affecte sa performance à l’école. Pourtant cet enfant avait l’intelligence d’obtenir d’excellentes notes avant son exposition formelle au créole, avant que sa moyenne en dépendait. Avec un effort minimal il aurait put maintenir l’excellente moyenne. Mais, hélas, il est victime d’une mentalité délétère au progrès du pays.
La problématique que la paracréolistique appelle la francisation verbatim, ou analogie francophone affecte son langage. Cette problématique est celle de la traduction littérale d’une phrase ou d’un texte créole en français sans tenir compte du contexte et sans se demander si les mots charrient le même sens sémantique du créole au français[1]. Il parle du « vieux créole » et de sa mère qui n’est « pas sur son sang », ce qui signifie qu’elle est de mauvaise humeur. Ma surprise est quemême Mésaul face à cette problématique. Et pourtant il affirme ne pas bien connaître ce « vieux » créole. Cela pourrait être un mystère. Comment un petit qui ne maîtrise pas le créole, comme il le dit, arrive-t-il avoir tellement de créole en luiqu’il va jusqu’à le franciser verbatim ? A-t-il été « contaminé » par d’autres qui pratiquent cette francisation verbatim ou qui lui ont glissé ces termes ? La réalité est que Mesaul connaît plus de créole qu’il ne le sait. Mesaul est un petit créole et il ne le sait même pas. En ce sens l’attitude de Mesaul est à la limite de ce que la paracréolistique appelle misoïsme, un néologisme qu’elle invente pour traduire une haine injustifiée des siens, de son habitat, de son pays, de tout ce qui se rapporte à ses origines. Mais lui c’est seulement au créole qu’il s’en prend. Mésaul est un gentil garçon, aimable et très serviable. A mille lieues du petit terroriste qui corrige Frankétienne avec virulence le premier jour où l’auteur arriv e à l’école, ne parlant que le créole. Nonobstant, les deux garçonnets ont bu à la même source, celle du mépris du créole. L’incident Frankétienne, je le reprends dans la paracréolistique. La sœur Félicienne lui demande son nom en français. Il ne comprend absolument rien de ce qu’elle dit. Le petit terroriste lui lanca: « ti makak, kote w soti ou pa wè si se non w li mande w ». Frankétienne appelle cet incident son acte fondateur.
Je vais laisser une copie de l’essai à ses parents et espère l’introduire lui-même à l’activité paracréolistique. L’essai et été rédigé pour des gens comme lui et ses parents qui ont de fortes compétences orales en créole. Il ne leur faut qu’un effort minuscule pour faire émerger des compétences au niveau lecture et écriture. Cela lui aidera sur plusieurs fronts. Il fera plus d’efforts pour maîtriser l’écriture du créole après avoir cassé le blocage mental de son infériorité. Il jouira du prestige que lui apportera le recouvrement de sa moyenne 9. Il n’utilisera plus l’appellation de vieux pour décrire le créole et sera aussi conscient des écueils de la francisation verbatim.
Au demeurant le créole n'est pas vraiment la source de la régression académique de Mesaul. Il en est lui-même la source. Victime de la mentalité que lui a transmise fidèlement le milieu. Cela est vraiment dommage!
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