Aide ou occupation?
Le Devoir affirmait mercredi qu’Ottawa
étudiait l’idée de prendre le relais du Brésil à la tête de la Mission des
Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Il y aurait, à notre
avis, mieux à faire pour contribuer au développement d’Haïti que d’y envoyer en
masse nos Casques bleus.
Ottawa n’a pas encore tranché, mais déciderait-il d’investir l’île de ses
Casques bleus que nous jugerions l’initiative mal avisée. Le fait est que la
MINUSTAH, créée dans la foulée du renversement de Jean-Bertrand Aristide en
février 2004, est devenue avec le temps une force d’occupation ou, du
moins, perçue comme telle par beaucoup d’Haïtiens. Ce qu’il serait
extraordinaire d’entendre Justin Trudeau dire aujourd’hui, c’est que le Canada
a commis une erreur grave en appuyant l’éviction d’Aristide par les États-Unis.
On peut toujours rêver. Le renversement du gouvernement d’Aristide n’a pas
rendu service au peuple haïtien ; il a servi les intérêts de l’oligarchie
locale, des anciens militaires et des néoduvaliéristes.
Que des enjeux de sécurité se posent encore, c’est l’évidence. Que la
classe politique haïtienne cafouille épouvantablement — au point qu’a été
reporté deux fois le second tour de l’élection présidentielle sans qu’on sache
très bien quand il pourra finalement se tenir — et que l’État haïtien soit
complètement dysfonctionnel, on en convient. Mais il ne faudrait pas que ces
réalités nationales fassent oublier les responsabilités des pays étrangers
(États-Unis, Canada, France) dans cet état de déliquescence politique, sociale
et économique.
Il n’est pas exagéré de dire qu’Haïti est aujourd’hui dans une situation
pire, plus corrompue et plus antidémocratique, qu’elle ne l’était quand
Aristide a été chassé du pouvoir. Vrai que s’est produit l’effrayant séisme de
janvier 2010, qui a fait plus de 200 000 morts. Comment néanmoins
expliquer que, malgré les gigantesques ressources dont disposent tous ses
« amis » internationaux qui disent voler à son secours et vouloir
accompagner son développement, la société haïtienne ait si peu réussi à sortir
la tête de l’eau ? Comment expliquer que, selon des informations récemment
publiées par le Programme alimentaire mondial (PAM), Haïti traverse
actuellement sa plus grave crise d’insécurité alimentaire depuis 2001 ?
Une partie de l’explication tient en ceci : sous le couvert de l’aide
— d’une aide diachylon, au final — s’est installée une tutelle internationale
qui empêche le peuple haïtien d’influencer son développement et de faire ses
propres choix. Les manipulations qui ont donné lieu à l’élection de Michel
Martelly à la présidence en 2011 et le cul-de-sac électoral dans lequel se
trouve maintenant le pays en sont des preuves politiques.
Mais c’est aussi une tutelle qui s’inscrit dans le prolongement de
l’assujettissement où se trouve Haïti depuis son indépendance, arrachée aux
Français il y a 210 ans. Jamais ne lui a été donné le droit de respirer
librement sur le plan économique.
Premier ministre Justin Trudeau |
Le gouvernement de Justin Trudeau, premier ministre soi-disant
progressiste, pourrait faire oeuvre utile en contribuant, par exemple, à
humaniser le marché du travail haïtien. Lire à y défendre les droits syndicaux.
Prenez le cas de Gildan, multinationale du textile fondée à Montréal.
L’entreprise sous-traite depuis 2009 sa production de t-shirts aux Apaid, une
famille duvaliériste de Port-au-Prince qui a soutenu Baby Doc en son temps, qui
s’est opposée à Aristide et dont le lobby contre toute hausse du salaire
minimum est obstiné. Si bien que les travailleuses du textile en Haïti, payées
5,61 $ par jour, sont les plus mal rémunérées au monde, après celles du
Bangladesh et du Cambodge.
On est à des années-lumière de faire du travail un bien commun et un outil
de développement démocratique, se tue à répéter le philosophe Alain Deneault.
C’est vrai partout dans le monde. Ça l’est particulièrement dans un pays comme
Haïti.
A suivre ...
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