Par Jude Simon
3 mars 2016
Ce qui semble caractériser les Haïtiens c'est l'art de faire les choses comme ils veulent. Sans se plier aux exigences de la Constitution, sans tenir compte des lois, des règlements, des engagements, de la parole donnée et souvent, sinon toujours, sans même se soucier du bon sens. Cette manière de faire nous a conduit et nous conduit immanquablement à des crises politiques, des remous sociaux et au ridicule. Depuis la signature de l'accord politique du 5 février, la situation confirme ces prémisses.
Le président du Sénat taille un accord à sa mesure, le signe et en est le premier bénéficiaire, devenant président de la République. Sens de l’éthique, gêne morale, rien ne l’empêche de prêter serment, de se pavaner gonflé comme un paon, de sourire aux uns et aux autres, de taper sur les dos, d’étreindre par-ci par-là. Il se prend au sérieux et agit comme un président qui a gagné haut la main des élections. Ce n’est pas un fonctionnaire, ni un serviteur de l’État, c’est un monarque qui évolue et qui jouit d’être admiré.
Il s'installe, tout sourire, dans ses pouvoirs aux contours définis mais ne fait rien pour accomplir la seule mission qui lui a été confiée, poursuivre le processus électoral. Il parle de tout, sauf de cela. Il fait semblant de piétiner face à une situation difficile et compliquée, jouant au plus fin, mais tout le pays sait qu'il ne fait que dessiner les lignes d'une transition allongée. Mais, pour faire quoi ?
On le comprend déjà puisqu’au Palais sont déjà accourus ceux de la clique qui avait été au pouvoir sous Préval et qui avait malmené ce pays financièrement et a contribué au vide institutionnel dans lequel nous nous vautrons. Cette clique qui ne peut présenter aucun bilan sérieux de ses dix années de pouvoir. Parmi ces têtes, on voit Jean Max Bellerive qui devient chef de cabinet du Président. Malgré toutes les malversations qui lui sont attribuées, malgré l'aide internationale volée, privant le peuple de médicaments, de nourritures après le tremblement de terre de 2010, malgré les magouilles avec les compagnies dominicaines et les pots de vin juteux, il est revenu pour continuer à diriger le ballet des billets tout verts.
La femme du président, première dame par accident, se prenant aussi au sérieux, décide d'aller visiter la faculté de médecine en construction. Pour faire quoi ? Pour voir comment marche l'exécution d’un plan dont elle ne sait rien ? Elle n'a vraiment aucun sens du ridicule. Elle exigera peut être un budget pour les interventions sociales et les petits projets. Qui sait ?
Le président de facto Privert signe un décret nommant un citoyen Premier ministre sans avoir l'aval du Parlement. Récemment Sénateur de la République, il a créé, sans état d'âme, un précédent pour les autres présidents à venir, en court-circuitant un pouvoir de la République qui a son mot incontournable à dire au sujet de la nomination du Premier ministre. Il fait pire que les autres auxquels il reprochait, quand il était Sénateur, de violer la Constitution.
Un citoyen se prête à cet acte inconstitutionnel, circule dans la voiture officielle bourrée d'agents de sécurité, suivie d'autres véhicules tout aussi bien pourvus en armes et agents de l'ordre public. Fritz Jean est un Premier ministre auquel on ne peut associer aucun qualificatif. Il n'est ni pressenti, ni désigné, ni choisi. Il n'est même pas nommé puisque après la publication du décret inconstitutionnel le confirmant dans ses fonctions, il ne peut assumer son rôle. Avec de nombreux conseillers, il prend pourtant logement à la résidence de la Primature et engage l'état en faisant changer les meubles, tous les meubles, même le lit (Tiens, un lit pour quoi faire ? Il bénéficie d’une garde officielle, il occupe une installation officielle, il prend des mesures administratives. Et pourtant c'est un simple citoyen. Envers quel organe de la République est-il redevable ?
Pour comble d'irrégularité, la primature qu'il dirige sans vraiment diriger émet des communiqués jusqu'au moment où, guéri de son amnésie, il se rend compte que la Constitution désigne celui qui doit liquider les affaires courantes. Ce n'est autre qu’Evans Paul qui, le 3 mars 2016, demande aux ministres de maintenir l’administration à flot, ce que le vrai-faux Premier ministre Fritz Jean avait déjà fait et qui était resté sans effet puisque Premier ministre sans qualité, sans qualificatif sauf celui de "dasomann" que lui a collé le sénateur de la Grand'Anse. On se demande où Evans Paul a-t-il signé son communiqué, puisque la place est occupée manu militari par un autre vrai-faux Premier ministre.
Sans vouloir changer de sujet, on se demande si Privert a vérifié que la vente de notre réserve d'or par le gouverneur de la banque centrale d'alors, Fritz Jean, était régulière et couverte par toutes les dispositions légales nécessaires ? Le parlement doit s'en assurer et le cas échéant demander des comptes.
Pour revenir à nos limbes, nous disons qu’Evans Paul s'était retiré, laissant sa place à Fritz Jean. De qui dépendait alors le gouvernement sans chef de gouvernement ? Une île flottante, une entité dérivant sur les nuages de l'absurde ? Nous ne sommes pas un pays sérieux, ni responsable, ni même logique. Evans Paul revient comme par magie et émet des communiqués effaçant d'un trait de plume les communiqués de Fritz Jean. Mais Fritz Jean garde ses gardes du corps, son bureau, admire ses nouveaux meubles, étrenne le nouveau lit.
C'est un parfait imbroglio administratif, juridique et légal où prime la déraison. Heureux celui qui s'y retrouve et qui essaie de démêler cet écheveau de bêtises et de non-sens qui ne font qu'accentuer la descente du pays vers l'enfer. C'est bien l'enfer, l'église catholique avait fini par dire que les limbes n'existaient plus.
Entretemps, les citoyens doivent se taire. Il ne faut pas oser en parler. Libre à ceux qui veulent le tenter. Ils s'exposent à subir le sort d'Auguste D'Meza, professeur d'université et journaliste, qui, après son entrevue du 2 mars 2016 à Radio Métropole, fut agressé et battu sévèrement en regagnant son foyer.
Le pouvoir central ne condamne pas le fait et pour cause. Ni les organismes de droits humains, ni Métropole dont il était l'invité, ni les autres médias, ni les grands journalistes ou icônes de notre presse, ni le président de l'association nationale des médias (celui-ci n'existe que pour s'exciter sur des histoires carnavalesques banales et sans intérêt pour le pays). Ces donneurs impénitents de leçons ne parlent de cette atteinte à la liberté d'expression, ni le dénoncent. Ils observent tous un pieux silence, les uns par peur, pour ne pas affronter le monstre au faciès grimaçant, les autres par intérêt pour ne pas gêner le pouvoir dont ils font désormais partie. La parole libre est défendable quand on n'a pas d'intérêts en jeu. N'est ce pas messieurs de la presse, défenseurs des grands principes de liberté, de démocratie et de la liberté d'expression.
Craignez de faire partie de ceux qui maintiennent Haïti dans les limbes ou en enfer.
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