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L’affaire Guy Philippe poursuit son cours au tribunal fédéral |
L’affaire Guy Philippe
poursuit son cours au tribunal fédéral du district Sud de la Floride. Après un
moment de calme relatif, la défense du sénateur élu qui est passée de trois à
une seule avocate en moins d’un mois, a présenté plusieurs requêtes au tribunal
le 28 février dernier. Dans l’une de ces requêtes, intitulée « motion to
dismiss for lack of personal jurisdiction » (requête en dessaisissement pour
défaut de compétence personnelle), le sénateur élu, à travers son avocate, Me
Zeljka Bozanic, a fait des déclarations fracassantes qui risquent d’avoir des
conséquences majeures en Haïti.
Avant
de faire ressortir les éléments de cette requête, il convient de faire deux
considérations qui éclaireront le lecteur sur cette affaire riche en rebondissements
imprévus. Premièrement, la stratégie des avocats de M. Philippe est maintenant
connue. L’emphase, aujourd’hui, est mise sur le caractère politique de
l’arrestation, et sur l’immunité dont, selon les avocats de M. Philippe, il
devrait jouir en tant que sénateur élu. En ce sens, dans certains des documents
soumis à la cour, l’avocate de M. Philippe insiste qu’il s’agit d’un sénateur
élu dans une nation souveraine, et en tant que tel, les États-Unis devraient,
en signe de courtoisie internationale (comity, en Anglais) envers Haïti, lui
reconnaitre ce statut et surseoir aux poursuites au moins durant les 6 ans de
son mandat.
Le
second élément qu’il convient de souligner est que la stratégie de la défense
aujourd’hui est clairement d’obtenir du tribunal le rejet de l’affaire
(non-lieu) avant que le procès, prévu pour le 3 avril prochain, ne démarre. Et
la défense de M. Philippe, dans la poursuite de cette stratégie, qualifie son
arrestation de kidnapping par les forces américaines avec la complicité des autorités
haïtiennes. Un élément important de cette stratégie sera d’obtenir, dans les
prochains jours, une résolution du sénat haïtien condamnant fermement
l’arrestation de M. Philippe, et préférablement, affirmant son statut de
sénateur bénéficiant de l’immunité parlementaire. Venons en maintenant aux
déclarations contenues dans la requête déposée par l’avocate du sénateur élu à
la cour fédérale à la fin du mois dernier. Nous les reproduisons ici sans
interférence rédactionnelle :
«
Le 5 janvier 2017 le sénateur Philippe reçut un appel téléphonique de Salvador
Étienne, un des policiers travaillant sous la direction du chef de la Police
nationale haïtienne, Michel-Ange Gédéon. Salvador Étienne dit au sénateur
Philippe qu’il avait un message urgent à lui communiquer de la part de chef
Gédéon, et voudrait le rencontrer le plus tôt possible. Le sénateur Philippe
accepta de rencontrer Salvador Étienne devant le Best Western Hôtel, à
Pétion-Ville.
Dans
la matinée du même jour, le sénateur Philippe, accompagné du député Ronald
Étienne et de Paul Mython, rencontra Salvador Étienne devant l’hôtel Best
Western, à Pétion-Ville. Salvador Étienne confia alors au sénateur Philippe que
Chef Gédéon l’a envoyé l’avertir que des individus voulaient le tuer. Il lui
dit aussi que le président Privert et le Chef de la Police judiciaire, Normil
Rameau, travaillaient avec les Américains pour l’empêcher de devenir sénateur,
et ils seraient même prêts à l’éliminer physiquement.
Après avoir reçu cette information, le sénateur Philippe décida de se faire
accompagner d’agents de sécurité, et fit des apparitions publiques seulement
dans des endroits où il y avait beaucoup de témoins potentiels, ce qui, selon
lui, garantirait sa sécurité.
Parce que la conduite des agents américains qui se rendirent dans un pays
étranger où, apparemment, ils tentèrent d’éliminer physiquement l’accusé est si
scandaleuse, le tribunal devrait exercer son jugement et rejeter l’affaire pour
défaut de compétence personnelle. »
Un
peu plus tard, au cours de la même journée, le sénateur Philippe accorda une
interview à une station de radio locale en tant que sénateur fraichement élu. À
sa sortie de la station, des hommes armés fusèrent de toutes parts et tirèrent
deux coups de feu, apparemment dans le cadre de l’exécution du projet
d’assassinat dont il avait été informé dans la matinée. À ce moment, alors que
l’un des hommes armés tirait un coup de feu, l’un des agents affectés à la
sécurité de M. Philippe, Udy Noël, reçut deux projectiles à la place du
sénateur après avoir poussé ce dernier hors du champ des projectiles. À cause
des coups de feu, des badauds s’attroupèrent, et tout à coup, il y avait trop
de témoins. Le sénateur Philippe fut alors appréhendé par des hommes qui
semblaient être des agents américains. Ils placèrent une cagoule sur sa tête
pour l’empêcher de voir. Cependant, il put entendre les communications radio
que ces hommes échangeaient avec leurs interlocuteurs. Lorsque l’homme qui
était le plus proche du sénateur annonça « nous l’avons épinglé »,
l’interlocuteur à l’autre bout de la ligne demanda « est-il mort » ? L’autre de
répondre : « Non, on a dû modifier le plan à la dernière minute. »
Le
sénateur Philippe fut conduit à un autre véhicule dans lequel il resta trois ou
quatre heures. Il fut forcé de s’asseoir sur le plancher extrêmement chaud du
véhicule, car le moteur était juste en dessous de lui. Après être resté
plusieurs heures dans la voiture, privé de nourriture et d’eau, le sénateur
Philippe fut conduit à une maison appartenant aux Américains où il demeura
plusieurs heures, encore privé de nourriture et d’eau. Il fut ensuite envoyé
aux États-Unis par avion et amené devant ce tribunal pour être poursuivi selon
une inculpation datant de 2005.
Comment
expliquer cet argumentaire, sans tomber dans des considérations trop techniques
? Essayons. D’après la loi américaine, une fois que l’accusé se trouve devant
le tribunal, ce dernier a compétence personnelle (personal jurisdiction) pour
entendre de l’affaire. Cependant, il y a deux exceptions à cette doctrine dite
Ker-Frisbie Doctrine. La première, c’est dans le cas où le gouvernement
américain arrête l’accusé dans un autre pays, en violation d’un traité
d’extradition conclu entre les États-Unis et le pays où l’accusé a été arrêté.
La seconde exception, c’est dans le cas où, dans le cadre de l’arrestation, le
comportement des agents américains est tellement scandaleux que le tribunal
devrait se sentir interpellé à ne pas entendre l’affaire, sous peine de
cautionner ce comportement. C’est sur cette exception que l’avocate de M.
Philippe, Me Zeljka Bozanic, fonde son argumentaire. Nous nous garderons de
nous prononcer sur l’efficacité de cette stratégie de la défense dans ce cas
précis.
Le
procès est prévu pour le 3 avril prochain. Le 28 février, l’avocate de M.
Philippe a soumis plusieurs requêtes à la cour. Le gouvernement a jusqu’au 10
mars pour répondre à ces requêtes. Le tribunal rendra sa décision peu après
avoir reçu les documents responsifs des avocats du gouvernement. Le bureau
Floride du National promet de suivre l’affaire de très près, et de publier, le
cas échéant, plusieurs articles par semaine. Entre- temps, certains individus
auront des éclaircissements à apporter à la communauté sur les déclarations du
sénateur Philippe.
Frandley
Denis Julien
Doctorant
en droit Miramar, Floride