Président Michel Martelly Dr Réginald Boulos |
Port au
Prince, le 10 mars 2017
Mr Michel
Joseph Martelly
56ème
Président de la République
En ses
bureaux.
Monsieur le
Président,
C'est après
mûre réflexion et beaucoup d'hésitation que j'ai décidé de vous écrire cette
lettre ouverte, inspirée de l'amour que nous portons tous pour notre pays. Nos
expériences communes, lors de la crise de 2014 dans laquelle vous m'avez permis
de jouer un rôle essentiel en vue de conjurer le spectre du chaos qui menaçait
notre chère Haïti, me confèrent, sans doute je pense, le droit citoyen de
m'adresser à vous et à tous mes concitoyens pour faire appel aujourd'hui à
cette sagesse que devrait faire naître en nous notre désir intense de voir ce
pays sortir de l’abîme.
Loin de moi
toute idée de vouloir, comme d'autres essaient de le faire, jeter le blâme sur
l'un ou l'autre dans cette déchirure morale et sociale qui tourmente
actuellement notre pays. Je tiens surtout à partager avec vous un message qui
m’est venu du cœur. Un message du cœur pour vous dire, en toute modestie et
toute fraternité, que vous risquez de sortir du chemin noble et honorable que
le destin vous a réservé en faisant de vous le 56ème Président de la République
d'Haïti. Notre pays ne connaitra point la stabilité et le développement tant
que nous ne briserons pas cette chaîne de revanche qui polarise et déchire le
corps social haïtien depuis des lustres.
En effet,
les évènements regrettables de ces dernières semaines s’inscrivent dans cette
lignée de violences physiques et verbales qui agitent notre société depuis plus
de trente années. Nous, Haïtiens, pensions, raisonnablement, qu’était révolu le
temps des horreurs de la mise à mort par le supplice du collier, des
disparitions inexpliquées, du laxisme, de la lutte sélective et partisane
contre la corruption. Pourtant, d’une part, le pays assiste, avec inquiétude et
amertume, à des attaques continues sur les libertés individuelles, et, de
l’autre, à l’utilisation abusive et incendiaire de la liberté de parole jusqu'à
cette polémique qui vous oppose à deux membres de la presse haïtienne.
Cette polémique est l’expression d’un drame social très profond marqué
par une dilution des mœurs, une perte de sens et de valeurs, et une propension,
apparemment incontrôlable, à la destruction de l’autre dans l’articulation des
frustrations et animosités interpersonnelles, avec des conséquences négatives
sur l’avenir de nos enfants
Il convient
de nous dépasser et de faire, tous, preuve de transcendance en cassant
résolument cette dynamique d’invectives. Nous devrions nous ressaisir et
démontrer, en gens de bien et pétris d’abnégation et de civilités, par nos
paroles et nos actes, que l’esprit de transcendance et de générosité est de
loin plus grand et plus noble que l’instinct de revanche.
Je me sens
d'autant plus à l'aise, Monsieur le Président, à vous adresser ces mots que ma
famille et moi faisions l'objet de viles calomnies et d'attaques inouïes, une
vingtaine d’années durant. Vous noterez que, jamais, nous n'avions cédé à la
tentation de nous ravaler au caniveau d’où nous étions farouchement attaqués et
de répondre à nos détracteurs par des actions qui ne font pas honneur à notre
famille et qui contredisent notre système de valeurs.
Monsieur
le Président,
Notre peuple
vous a élevé, par son vote, à la Magistrature Suprême de l’État. Aux droits qui
s’y rattachent s’associent, évidemment, des devoirs auxquels il n’est point
permis de se soustraire, comme celui de toujours montrer de la retenue et de
manifester du respect envers ses concitoyens. Si d'autres, regrettablement, se
croient en droit de dire ou faire n'importe quoi en tout temps et tout lieu,
vous, par contre, devez, toujours et partout, vous interdire de dire ou faire
n'importe quoi.
Votre statut
d’ancien Chef d’État vous commande plutôt d’agir en modèle et en leader pour
amener nos frères et sœurs haïtiens, notre communauté humaine traversée
d’angoisses et de dissensions perpétuelles, à se réconcilier avec elle-même
dans la concorde, l’harmonie, le respect de l’un pour l’autre, et la tolérance
mutuelle dans la diversité des goûts et des préférences individuels. Vous aurez
beaucoup mérité de la patrie si vous saisissez l'opportunité enviable qui vous
est offerte par l’histoire et le destin de servir de modèle à nos enfants et
nos jeunes. Loin de la trivialité de l’ordinaire, le statut de Président est à
réinscrire dans l’ordre suprême de grandeur et de prestige qui est
naturellement et conventionnellement le sien.
Je
vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon profond
respect.
Dr Reginald
Boulos
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