Le haut état-major des nouvelles Forces armées d’Haïti
Par Robert Benodin
Point n’est besoin de se rappeler qu’après 60 ans de déliquescence institutionnelle totale. Que toutes ces institutions n’existent que de nom et ne fonctionnent pas selon les normes et critères mondialement reconnus, particulièrement sous un régime de Démocratie représentative, que l’on prétend avoir en Haïti. Qu’il faille une réflexion profonde sur la refondation de l’Etat, pour redéfinir spécifiquement les institutions, l’indépendance des 3 pouvoirs, leurs fonctions et les limites de leur sphère de responsabilité, est une évidence. On a vécu pendant trop longtemps sous la domination de ces 3 régimes populistes dictatoriaux dont les pratiques avec le temps se sont instituées, comme normes, us et coutumes. Ce n’est pas par l’effet du hasard qu’après60 ans où tout a été permis et toléré. Que l’on veille faire croire, qu’Haïti ne soit pas un pays comme les autres. Et qu’elle échappe même aux rigueurs de la science et des vérités scientifiques. Pour justifier n’importe quoi, on n’hésite pas à rappeler ce dicton « qu’Haïti soit une terre glissée ».
On est en train de constater que pour combler rapidement un vide institutionnel causé par le démantèlement de l’armée et de la police urbaine et rurale, en 1995. Que le 2e et dernier gouvernement du régime PHTK, ait créé, après 23 ans, une milice, qu’il dénomme « Armée d’Haïti », pas ex nihilo. Mais avec des promotions d’officiers de l’armée qui a été précédemment démantelée en1995, une armée essentiellement duvaliériste. Point n’est besoin de se rappeler toutes les atrocités commises par cette armée amalgamée à tous les actes de violence bestiale de la milice duvaliériste, les VSN, pendant les30 ans des Duvalier et au-delà. Certains pour justifier cette antinomie, veulent remonter à la guerre de l’indépendance pour associer cette nouvelle milice à l’armée indigène. Alors que la genèse de cette armée démantelée, ne remonte qu’à la fin de l’occupation américaine, le 2 août 1934. Cette armée a été créée par l’occupant pour maintenir un contrôle néocolonial de la politique et du territoire d’Haïti après son départ.
C’est le rôle que cette armée a toujours joué. Servir des intérêts autres que ceux de la nation, avant, pendant et après la guerre froide. Sous Duvalier, elle a été domestiquée et « duvaliérisée », pour spécifiquement ne servir que les intérêts de ce régime et exécuter ses basses œuvres. Il est extrêmement important de se rappeler que ceux soient dans les camps militaires tel que, les Casernes Dessalines, le bureau de police, le Fort Dimanche, le Fort National, le palais national etc. que se trouvait les lieux de torture, les plus exécrables. Cela va de soi que toutes les promotions d’officiers formées sous ce régime, charrient en elles, toutes les tares que ce régime leurs avait inculqué. Pour entrer à l’académie militaire, il fallait avoir un parrainage duvaliériste des plus impeccables. Voilà ce qui était requis indistinctement de chacun de ces cadres qui sont en train de gérer cette nouvelle milice. Ce n’est pas étonnant non-plus que la création de cette nouvelle milice, ait eu lieu en vase clos. Puisqu’il est évident que ce soit par instinct de conservation que cette milice ait été créée, par le 2e gouvernement du régime PHTK, après le départ de la Minustah. La question maintenant est de savoir. A l’instar de la milice et de l’armée duvaliériste, quel parrainage exigera-t-on aujourd’hui, pour se faire recruter ?
Il y a, à partir des faits historiques et par définition, entre une armée régulière et une milice, une différence énorme. Du Moyen Ageau XVIIIe siècle, la milice n’était que des troupes levées dans les villes et dans les campagnes pour renforcer l’armée régulière. Elle n’était de fait qu’un groupe armé privé qui seconde l’armée régulière. Dans les temps modernes, elle a évolué pour devenir une organisation paramilitaire constituant l’élément de base de certains partis totalitaires ou de certaines dictatures. C’est cette expérience qu’Haïti a endurée du28 juillet 1958 au 7 février 1986. Dont elle charrie les cicatrices jusqu’à présent, la domination d’un leadership sauvage, la déliquescence institutionnelle totale, l’omniprésence et l’omnipotence de la corruption, l’impunité, la vassalisation du pouvoir judiciaire par l’exécutif, l’utilisation de la violence étatique, l’exploitation de l’internalisation de la peur pour le maintien de la stabilité, ainsi que la paix des tombeaux, etc. Il n’y a rien de positif que l’on puisse évoquer de ces 28 ans de domination dictatoriale et de violence bestiale qui peut faire honneur au passage de cette milice.
Tandis que l’armée régulière, responsable de la protection, de la défense de l’intégrité du territoire national, de ses frontières terrestres, maritimes, aériennes et des services techniques, se distingue par le nombre imposant du contingent et de ses cadres, par la quantité, la modernité, la sophistication et la diversité de son équipement. Politiquement neutre,l’article 265 de la constitution précise ce point : Les Forces Armées d’Haïti sont apolitiques. Leurs membres ne peuvent faire partie d'un groupement ou d'un parti politique et doivent observer la plus stricte neutralité. Et l’article 265.1 se lit comme suit : Les Membres des Forces Armées exercent leur droit de vote conformément à la Constitution. Une autre caractéristique de l’armée régulière est, qu’elle soit budgétivore.
Le vide qu’a créé le départ de la Minustah, a précipité ce gouvernement inquiété, à vouloir le combler immédiatement. Youri Latortue avant le départ de la Minustah,était allé solliciter de son haut état-major, qu’il fasse don de ses équipements à la nouvelle armée. Cette demande a été rejetée, d’une part. Et d’autre part, les puissances hégémoniques, ont toutes opiné contre la formation immédiated’une nouvelle armée en Haïti. Sans aide étrangère, ayant de surcroit une caisse publique vide et une dette publique croissante, ne pouvant même pas payer ses arriérés. Ce gouvernement, malgré tout, s’est précipité pour organiser un petit groupe armé, sans équipement. Ce petit groupe armé est évidemment dans l’incapacité d’assumer lesénormes et multiplesresponsabilités d’une armée régulière, la protection et la défense de l’intégrité territoriale et de ses frontières terrestres, maritimes et aériennes. S’il en est ainsi. Quelle est pour la nation, l’utilité d’un tel groupe armé ? Envers qui est-il loyal ? Qui va-t-il défendre contre quoi ? Les intérêts de qui sera-t-il en train de servir et de défendre ? Il est absolument évident, que pour la survie de ce petit groupe armé, il ne peut pas se permettre d’être neutre. Alors que la neutralité soit un prérequis incontournable pour la stabilité de l’armée régulière. De plus, comment ne pas être scandalisé et inquiet, quand on apprend et qu’on sait maintenant, que le colonelJean Robert Gabriel, un des membres du haut état-major récemment nommé par Jovenel Moïse, ait été condamné par contumace le 16 novembre 2000dans le cadre du procès sur lemassacre de Raboteau. Et que le Bureau des Avocats Internationaux rappelle que ledit jugement a été publié dans le journal officiel, Le Moniteur, du jeudi 23 novembre de la même année ? Voilà ce que ce gouvernement, ne veut pas seulement offrir, mais imposer, comme armée régulière, une antinomie !
On est obligé de se rendre à l’évidence, que cette frange de l’oligarchie, « the most repugnant elite », qui aujourd’hui exerce le pouvoir, ayant eu des liens étroits avec le régime des Duvalier. Aveu fait publiquement par Rony Gillot à une émission de la Radio Vision 2000, « Invité du Jour » avec Valéry Numa. Ceux qui forment ce gouvernement, membres de cette caste, gérant ces 3 pouvoirs. Grand nombre d’entre eux, jouissent de ces mêmes liens. Ce n’est, ni étonnant, ni par l’effet du hasard, qu’ils aient ce réflexe rotulien, de choisir et de former une nouvelle milice. Et qu’ils se soient précipités pour le faire. On est en face d’une manœuvre de rétrogression, vers un passé révolu, il y a 32 ans. On est passé du déclin précipité, au pire, la rétrogression. Ceux sont là des signes irréfutables que l’ancien ordre se meure, incapable d’innover, pour survivre. Quand est-ce que le nouvel ordre cessera d’hésiter pour enfin naître ?
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