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Wednesday, February 3, 2016

Haïti Pour en finir avec l’arnaque

Par:Guy Taillefer Le Devoir 
Guy Taillefer
L’impasse électorale sans précédent dans laquelle se trouve Haïti découle du renversement de Jean-Bertrand Aristide, expulsé de la présidence en 2004 par la communauté internationale. Les Haïtiens réclament ici qu’on leur rende leur souveraineté et les rênes de leur développement démocratique. Leur exaspération n’exprime pas autre chose.


Il ne s’agit pas tant d’aider Haïti que « d’aider les Haïtiens à s’aider eux-mêmes parce que c’est à eux de choisir leur chemin »Dixit le Brésilien Celso Amorim, chef de la mission électorale de l’Organisation des États américains (OEA). On y croirait davantage si la communauté internationale (États-Unis, France et Canada, plus précisément) ne s’était pas employée depuis dix ans à coopter les élites nationales et à leur imposer ses desiderata. En fait, on y croirait davantage si les Haïtiens y croyaient, eux : il est au contraire devenu clair depuis des années qu’ils n’ont plus aucunement confiance dans le système électoral et les politiciens corrompus et corruptibles qui en émergent — ainsi qu’en témoignent les taux de participation proches de zéro qui caractérisent la tenue des scrutins. C’est qu’a succédé au renversement d’Aristide, chassé du pouvoir sous prétexte officiel qu’il souffrait de dérive autoritaire, une espèce de dictature internationale qui ne dit pas son nom.


La société haïtienne aura enduré le très mal élu président Michel Martelly, imposé en 2010 par les États-Unis au terme d’une présidentielle désertée par les électeurs et entachée par la fraude. Elle refuse aujourd’hui de se résigner à la mascarade électorale qui vise à porter non moins frauduleusement au pouvoir son successeur désigné, Jovenel Moïse. Ce qui est encourageant, c’est qu’une dizaine de candidats de l’opposition, à commencer par Jude Célestin, arrivé deuxième au premier tour tenu en octobre, se soient coalisés pour dénoncer les manipulations électorales. Et que, contre l’avis des donateurs internationaux exigeant que se tienne à tout prix le deuxième tour, le Conseil électoral provisoire (CEP) ait eu la lucidité, fût-elle momentanée, de suspendre, pour « des raisons évidentes de sécurité », la tenue du scrutin qui devait avoir lieu dimanche. Cela pourrait annoncer l’amorce d’une reconfiguration utile de la scène politique haïtienne.

Vrai qu’Haïti est à tous égards dans un état épouvantable. Reste que les événements des dernières semaines sont l’expression exceptionnelle de la colère et du désenchantement de la rue haïtienne face à une communauté internationale qui, sous le couvert d’assistance à personne en difficulté, a usurpé le pouvoir et disqualifié les tentatives de construction d’un État un tant soit peu indépendant. « C’est la première fois que les choses sont aussi nettes, disait l’écrivain Lyonel Trouillot la semaine dernière, en entrevue au quotidien LibérationUn conflit s’est installé entre la population haïtienne et “l’international”. C’est la première fois que les Haïtiens expriment un rejet massif de ce diktat sur la réalité haïtienne. »


Se présente ici une occasion pour les Haïtiens de faire un certain ménage. Encore faudra-t-il qu’ils soient entendus. Dans un premier temps, qu’on laisse retomber la poussière dans la mesure du possible. Et que le Canada, pour ne parler que de lui, aide vraiment les Haïtiens « à s’aider eux-mêmes ». Dans cette veine, il est impensable que Martelly soit autorisé à rester au pouvoir au-delà de la fin de son mandat, le 7 février prochain. Il faudra, en toute logique, qu’un gouvernement de transition consensuel soit mis sur pied et qu’un nouveau CEP, recrédibilisé, reprenne depuis le début le processus électoral afin que les électeurs puissent enfin se doter d’un président qui ne leur aura pas été imposé.

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