Le bilan de l'année 2015 coïncide avec la fin du mandat du Président Michel Martelly au pouvoir depuis le 14 mai 2011. C'est l'année de l'organisation d'élections générales pour renouveler le personnel dirigeant les institutions étatiques. Cette année coïncide également avec celle de la commémoration du centenaire de l'occupation américaine du pays (1915-2015).
I. SUR LE PLAN POLITIQUE
Durant ses quatre (4) années et demie au pouvoir, le Président Michel Martelly, garant de la stabilité et du bon fonctionnement des institutions, n'a organisé aucune élection en vue du renouvellement des collectivités territoriales, du tiers (1/3) du Sénat et de la Chambre des députés. Au contraire, son administration a remplacé tous les cartels de maires élus dans les 140 communes de la République par des agents intérimaires. Timidement, la communauté internationale et la société civile ont attiré son attention sur cette violation flagrante de la Constitution de 1987.
Il est vrai que l'organisation d'élections à un rythme accéléré est une entreprise onéreuse pour la communauté internationale qui supporte la charge du financement des élections en Haïti depuis 1987 à plus de 60%. La Mission de l'Organisation des Nations-unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) ne se préoccupe que de la stabilité de la Présidence. Comme si la stabilité des autres institutions républicaines n'est pas une priorité. Aussi, depuis 2006 le pouvoir présidentiel se transmet-il, tant soit peu, d'un Président élu à un autre, en dépit des élections boiteuses concourant à ce transfert plus ou moins régulier et ordonné du pouvoir.
A. UN TEMPS POLITIQUE MAUSSADE
Plus d'un prédisaient un tsunami politique au début de l'année 2015, tant la situation politique se détériorait. Le 12 janvier 2015, le mandat du deuxième tiers du Sénat arrivait à expiration ainsi que celui de la Chambre des députés. Le Président Martelly allait-il constater la caducité du Parlement comme ce fut le cas le 11 janvier 1999, sous la Présidence de René Préval?
Six (6) Sénateurs de la République: Jean-Baptiste Bien-aimé (Nord-est), Pierre Francky Exius (Sud), William Jeanty (Nippes), John Joël Joseph (Ouest), Jean-Charles Moïse (Nord), Wesner Polycarpe (Nord), secondés, entre autres, par les manifestations de rues du Mouvement des Organisations de l'Opposition Démocratique (MOPOD) portaient le Président Martelly à cesser les tergiversations et à négocier un accord avec les partis d'opposition, en vue d'une sortie de crise. Leurs revendications portaient sur la formation d'un Conseil Electoral Provisoire (CEP), selon l'esprit de l'article 289 de la Constitution de 1987, la formation d'un gouvernement de consensus et le remplacement du Président de la Cour de Cassation, également Président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ).
Coincé aux entournures, le Président Martelly constituait une Commission Consultative de neuf (9) membres, présidée par l'homme d'affaires, le Dr Réginald Boulos, en vue d'effectuer la synthèse des rencontres, discussions et consultations antérieures avec les représentants de différents secteurs de la société haïtienne et pour lui faire des recommandations appropriées. Un délai de huit (8) jours était accordé à la commission pour effectuer ce travail.
Dans le délai imparti, la commission consultative remit son rapport au Président Martelly, au cours d'une cérémonie organisée au Palais National, en présence du Premier Ministre Laurent Lamothe, accompagné de certains membres de son gouvernement. Sans surprise, les principales recommandations furent: la formation d'un gouvernement de consensus, dirigé par un Premier Ministre choisi en concertation avec les partis politiques; la formation d'un Conseil Électoral Provisoire (CEP), selon l'esprit de l'article 289 de la Constitution de 1987 et la démission du Président de la Cour de Cassation, également Président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire.
En réalité, ces recommandations correspondaient aux revendications exprimées depuis plus de six (6) mois par les six (6) Sénateurs frondeurs et relayés par les manifestants du MOPOD qui réclamaient également l'organisation d'élections ou la démission du Président Martelly. Sans surprise, le Président Martelly saisit la bouée de sauvetage et déclara accepter toutes ces recommandations. Il n’adressa pas des questions préjudicielles relatives à la décharge à accorder à ses anciens Ministres, voire la double nationalité. Le dindon de la farce fut le Premier Ministre Lamothe qui menait visiblement campagne, à travers ses tournées dans les provinces, sous le couvert du programme "Gouvenmam Lakay ou".
B. IRONIE OU PRAGMATISME
Le 29 décembre 2014, le Président Martelly, le Président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), Me Anel Alexis Joseph dont on réclamait la démission, le Président du Sénat : Simon Dieuseul Desras et le Président de la Chambre des députés, Stevenson Jacques Timoléon, signaient un accord tripartite garantissant, entre autres, l'existence du Parlement après le 12 janvier 2015. Cette clause devait être introduite dans la loi électorale à voter avant le 12 janvier. Le mandat des députés serait prolongé jusqu'au 24 avril 2015 et celui des sénateurs jusqu'au 9 septembre 2015, ou à l'entrée en fonction des nouveaux élus, si les élections se tenaient avant ces dates. La balle était dans le camp du parlement.
Le Premier Ministre Lamothe démissionna. L'intérim fut assuré par le Ministre de la Santé Publique et de la Population, le Dr Florence Duperval Guillaume. Parallèlement, le Président Martelly désigna Monsieur Evans Paul comme Premier Ministre, en dehors de toute éthique et sans consultation véritable avec les Présidents des deux (2) branches du Parlement. Monsieur Paul faisait partie de la Commission Consultative qui avait produit les recommandations de sortie de crise. Le 1er janvier 2015, le Président de la République, flanqué de la Première Dame, des Présidents du Sénat et du CSPJ, du Premier Ministre par intérim et du Premier Ministre désigné, participa aux cérémonies commémoratives du 211emeanniversaire de l'indépendance aux Gonaïves.
La convocation du Parlement en Assemblée Nationale pour voter, entre autres, la loi électorale et ratifier le choix du Premier Ministre, n'a pas eu lieu. La séance fut boudée par le groupe des six (6) Sénateurs qui écrivirent au Président du Sénat pour justifier leur position sur le menu de la convocation, jugé copieux, indigeste et rébarbatif.
Paradoxalement, la plupart des partis politiques qui critiquaient le pouvoir du Président Martelly : la Fusion des Sociaux Démocrates, le Parti Inité, le Parti Aysyen Pou Ayiti, Kontra Pepla se bousculaient à l'Hôtel Kinam I pour parapher un accord politique avec le Président de la République le 11 janvier 2015.
Tous les regards étaient rivés sur le Parlement à l'approche de la date fatidique du 12 janvier 2015. Les jusqu'au-boutistes préférèrent jouer le tout pour le tout. Et le délai accordé aux parlementaires expira. L'Assemblée Nationale mettait fin à la 49emelégislature. Le Vice-président de cette Assemblée, le député Stevenson Jacques Timoléon, proche du Pouvoir, prononça un discours dans lequel il suggéra la modification de la carte géographique et politique du pays, à travers la création de nouveaux départements géographiques et de nouvelles communes. Le député Timoléon voulait-il préparer les esprits à une telle éventualité?
C. FORMATION DU GOUVERNEMENT
Avec le départ de la Chambre basse et l'absence des deux (2) tiers du Sénat, le Parlement est dysfonctionnel. Les dix (10) Sénateurs restants sont: Steven Iverson Benoit (Ouest), Wesner Polycarpe (Nord), Jean-Baptiste Bien-Aimé (Nord-Est), Lucas Saint- Vil (Nord-Ouest), Annick Francois Joseph (Artibonite), Jocelerme Privert (Nippes), Carlos Lebon (Sud), Edwin Zenny (Sud-Est), Francisco De la Cruz (Centre) et Andris Riché (Grande-Anse). Ce dernier fut élu Président des restes du Sénat avec Cinq (5) voix sur sept (7).
La voie était ouverte pour la formation et l'installation d'un gouvernement de fait. Nommés à la onzième heure, le Premier Ministre forma, de concert avec Le Président de la République, un Gouvernement de consensus de Vingt (20) Ministres et Dix-sept (17) Secrétaires d'Etat, sans l'onction du Parlement sur son énoncé de politique générale, comme le veut la Constitution de 1987. Le cabinet ministériel comptait huit (8) Ministres issus du Gouvernement Lamothe et douze (12) nouveaux Ministres, issus pour la plupart des Partis Politiques Fusion, Inité. Le Président Martelly cohabita avec ses adversaires d'hier.
Parmi les anciens Ministres du gouvernement Lamothe, quatre (4) ont battu le record de longévité : l'Ingénieur Jacques Rousseau (MTPTC), Stéphanie Balmir Villedrouin (Tourisme), Florence Duperval Guillaume (MSPP) et Wilson Laleau, tantôt aux Finances, tantôt au Commerce. Par contre, un Ministre et trois (3) Secrétaires d'Etat n'ont pas pu être installés. Il s'agit du Ministre de l'Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement, le vétérinaire Jean-François Thomas, des Secrétaires d'État Fednel Monchéry à la Reforme Agraire, Pierre André Gédéon à la Relance Agricole et Carel Alexandre à la Sécurité Publique. Les trois (3) premiers furent contestés par les étudiants de la Faculté d'Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV) et le dernier par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). Le Gouvernement a dû nommer l'Agronome Fresner Dorcin à la tête du MARNDR, suite à la démission de Jean-François Thomas.
Après la formation et l'installation du Gouvernement, contesté par le Sénateur Steven Benoit et l'opposition radicale, le cap était mis sur la formation du Conseil Électoral Provisoire (CEP), en vue du lancement du processus électoral.
D. LANCEMENT DU PROCESSUS ÉLECTORAL
Le lancement du processus électoral passait par la formation du Conseil Électoral Provisoire (CEP), selon l'esprit de l'article 289 de la Constitution de 1987, l'élaboration et la publication du Décret électoral et du calendrier électoral.
1. Formation du Conseil Électoral Provisoire
Durant quatre (4) ans et demi, l'obstination du Président Martelly à former le Conseil Électoral permanent s'est heurtée à l'opposition d'une bonne partie de la classe politique haïtienne. Les quatre (4) premières tentatives du Président Martelly de former un CEP, présidé soit par Emmanuel Ménard, soit par Josué Pierre-Louis, soit par Frizto Canton ou par Max Mathurin se sont heurtées à la résistance des forces d'inertie du milieu politique haïtien. Cette fois, les institutions prévues dans l'article 289 de la Constitution de 1987 ou celles qui leur tiennent lieu de substitut ont toutes désigné leurs représentants au Conseil Électoral Provisoire, en dépit de certaines protestations au sein de quelques-unes d'entre elles. Voici la liste des représentants désignés par secteur:
Pierre Manigat Jr, Presse
Lucie Marie Carmelle Paul Austin, Université
Pierre Louis Opont, Patronat
Lourdes Edith Joseph, Syndicat
Yolette Mengual, Femme
Néhémy Joseph, Paysan/Vodou
Ricardo Augustin, Conférence Episcopale
Vijonet Déméro, Cultes Reformés
Jaccéus joseph, Droits Humains
Les neuf (9) membres du Conseil Électoral Provisoire (CEP) prêtaient le serment d'usage à la Cour de Cassation, présidée par Me. Jules Cantave succédant à Me Anel Alexis Joseph, démissionnaire. Le parti Fanmi Lavalas et le Mouvement des Organisations Populaires Démocratiques (MOPOD) prenaient acte de la formation du Conseil.
Le CEP se mit immédiatement au travail en vue de l'élaboration du projet de Décret électoral à soumettre à l'Exécutif aux fins de publication dans le Journal officiel "Le Moniteur". Le CEP élabora le calendrier électoral et le budget en vue de l'organisation des élections présidentielles, législatives, communales et locales avant la fin de l'année 2015.
2. Publication du décret électoral
Un décret électoral de 244 articles fut publié dans un numéro spécial du Journal officiel "Le Moniteur" le 2 mars 2015. Le Premier Ministre Evans Paul remit symboliquement un exemplaire dudit Décret au Conseil Électoral Provisoire (CEP). Puis, le CEP publia le calendrier électoral et invita le Président de la République à publier l'Arrêté convoquant le peuple en ses comices, pour les 9 août, 25 octobre et 27 décembre 2015, en vue d'élire:
1 Président de la République;
20 Sénateurs;
119 députés;
142 cartels de Magistrats communaux;
575 cartels de Conseil d'Administration des Sections Communales (CASEC);
et des délégués de ville.
D'après le calendrier électoral, le premier tour des élections législatives fut fixé au 9 août. Le 1er tour des élections présidentielles, le 2ème tour des législatives et les élections communales au 25 octobre. Le 2eme tour des présidentielles et les élections des membres des collectivités territoriales (CASEC, ASEC, Délégué de Ville) au 27 décembre 2015.
Si tout se passait comme prévu, le Parlement rentrerait en fonction le deuxième lundi de janvier 2016 et le Président de la République serait installé le 7 février 2016.
3. Inscription des partis politiques
Le CEP invita les Partis politiques reconnus à s'inscrire. 192 Partis, organisations et entités politiques se présentèrent, y compris le MOPOD, Fanmi Lavalas et Pitit Desalin. 166 Partis, organisations et entités politiques, reconnues par le Ministère de la Justice, furent agréées par le CEP. Deux (2) raisons fondamentales expliquent la multiplicité des partis Politiques. Premièrement, la loi régissant la formation et le fonctionnement des partis politiques est trop laxiste dans ses critères. Par exemple, vingt (20) membres suffisent pour former un parti politique. Deuxièmement, le Gouvernement prévoit une enveloppe de 500 millions de gourdes dans le budget rectificatif 2014-2015 pour le financement des partis politiques. Une manne dans un pays à fort taux de chômage.
Parmi ces Partis, on distinguait ceux issus de la mouvance lavalas, ceux proches du pouvoir et ceux constitués à l'occasion des élections. Des démarches furent entreprises par le CEP et le Gouvernement en vue de porter ces partis, organisations et entités politiques à se regrouper en plateforme politique, afin d'en réduire le nombre. En définitive, le nombre de partis, regroupements et plateformes politiques, auxquels le CEP attribua, par tirage au sort, des numéros d'identification était de 126. D'autres tentatives effectuées soit par le secteur protestant soit par des candidats eux-mêmes pour réduire le nombre de candidats à la Présidence se révélèrent infructueuses.
4. Inscription des candidats
Le CEP lança le processus d'inscription des candidats dans l'ordre suivant: parlementaires, présidentielles, communales et locales. Les candidats furent invités à s'inscrire en ligne d'abord avant de se présenter dans les Bureaux Électoraux Départementaux (BED) et Communaux (BEC). Entre temps, des Ministres et des Agents intérimaires démissionnaient en vue de se porter candidat.
La question de la décharge était primordiale. La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCA) publia une note de presse, dans laquelle elle informa que les rapports relatifs aux projets de lois de règlement pour les quatre derniers exercices fiscaux (2011-2014) ont été transmis au Ministère de l'Economie et des Finances (MEF). En conséquence, la Cour ne délivrera pas de certificat de décharge provisoire aux gestionnaires de deniers publics.
L'inscription des candidats à toutes les fonctions électives se réalisa dans une ambiance de carnaval : candidats accompagnés d'un défilé de motocyclistes, de bandes à pieds et d'une caravane de véhicules. Souvent, les mêmes motocyclistes, les mêmes bandes à pieds changeaient d'accoutrements, de pancartes à l'effigie du candidat et de fanions. Une activité lucrative se créa à l'occasion des opérations d'inscription.
Ainsi, 70 candidats briguèrent la Présidence, 2039 le Parlement (Sénateurs et Députés), 2346 les Mairies, 3929 les Casecs et 1210 délégués de villes.
5. Contestations de candidatures
Après l'inscription des candidats, une période de contestation est prévue dans le Décret électoral. Les instances contentieuses prévues à cet effet sont: le Bureau du Contentieux Électoral Communal (BCEC), le Bureau du Contentieux Électoral Départemental (BCED) et le Bureau du Contentieux Électoral National. Tout électeur peut, moyennant preuve, contester une déclaration de candidature à une fonction élective.
Nombreux furent les anciens gestionnaires de deniers publics qui ne purent s'inscrire pour cause d'absence de décharge. Ils n'ont pu bénéficier du principe des formalités impossibles, en évoquant l'absence de Parlement. C'est le cas, par exemple, des anciens Ministres du Gouvernement Martelly. Parmi les cas de rejet de candidature qui ont défrayé la chronique, citons ceux de la Première Dame de la République, Mme Sophia Saint Rémy Martelly, du candidat à la Présidence de la Plateforme Vérité, M. Jacky Lumarque et de l’ex-Premier Ministre Lamothe.
D'autres candidats à la Présidence furent écartés pour cause de double nationalité et pour cause de trafic de stupéfiants. Finalement, 54 candidats figurèrent sur la liste des candidats à la présidence. 1855 candidats agréés pour les élections parlementaires. Au total, 41.000 candidats se préparaient à mener campagne pour les postes électifs.
6. La campagne électorale et les élections
La campagne électorale fut terne. Les candidats au Parlement ont organisé très peu de meetings populaires. La plupart des candidats parcoururent les communes de leur circonscription sur des véhicules montés d'équipements sonores, inondant les rues de vacarme.
La campagne présidentielle ne fut pas différente. Tous les candidats proposaient à peu près le même programme. Moins d'une douzaine d'entre eux parcourut les 11 départements géographiques du pays. La grande majorité se cantonna à des entrevues radiophoniques. Les mêmes participaient aux débats radio télédiffusés.
Quatre (4) sondages du Bureau de Recherche en Informatique et en Développement Social (BRIDES) fournissaient les tendances de votes.
Les élections du 9 août 2015 se déroulèrent dans une ambiance de désordre et de violences. Fraudes et irrégularités furent dénoncées aussi bien par des candidats, des partis et regroupements de partis politiques que par des organisations de la société civile impliquées dans l'observation électorale. RNDDH, CNO et CONHANE pointèrent du droit le Parti PHTK, proche du pouvoir, dans les violences, les fraudes et irrégularités. Le RNDDH pensa que ces élections étaient un accroc aux normes démocratiques. RNDDH, CNO, CONHANE exigeaient une évaluation honnête et sincère du scrutin.
Certains partis politiques, comme la Fusion des Sociaux démocrates, Fanmi Lavalas, ALAH, CANAAN et Renmen Ayiti proposèrent une évaluation des élections législatives. D'autres réclamèrent l'annulation des élections législatives. Ils dénoncèrent de faux observateurs, membres de partis politiques proches du pouvoir comme les instigateurs des fraudes et violences ayant émaillé la journée électorale. Le front des candidats pour la lutte démocratique réclama l'annulation des élections, le renvoi des 9 membres du CEP et le départ du Président Martelly.
Ces revendications furent relayées par des Partis et regroupements politiques comme la Fusion, Ayisyen pou Ayiti, REPARENN, Fanmi Lavalas, Platfom jistis, UPAN et PKN. Ils réclamèrent la tête de Pierre-Louis Opont, des corrections ou un gouvernement de transition. Le CEP publia les résultats définitifs des élections législatives.
Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) rejeta la notion d'annulation des élections. Selon le conseiller Néhémy Joseph, le CEP est déterminé à conduire la procédure électorale jusqu'au bout. Le CEP décida de reprendre les élections, le 25 octobre 2015, là où il y a eu violences, fraudes et irrégularités. Ainsi, 15 candidats à la députation et 1 candidat au Sénat ont été écartés pour leur implication présumée dans des cas de fraudes et de violences.
Le CEP publia les résultats définitifs des élections législatives. 10 candidats, 2 sénateurs et 8 députés furent élus dès le premier tour. La contestation se radicalisa. Le CEP proposa de corriger les erreurs et de faire mieux à l'occasion des présidentielles, prévues pour le 25 octobre 2015.
Le conseiller Néhémy Joseph, représentant des secteurs Vodou et paysan au sein du CEP, démissionna après avoir cautionné les décisions antérieures du CEP. Le Conseiller Ricardo Augustin, représentant de la Conférence Épiscopale déclara que le CEP allait avancer sans Néhémy Joseph. Il avait raison. Puisque la Mambo Carline Viergelin, désignée à l'insu des Pontes du vodou et du Secteur paysan, succéda à Me Néhémy Joseph.
Le CEP mit le cap sur l'organisation des présidentielles du 25 octobre 2015. Son Président, Pierre-Louis Opont, exigea la présence d'une force lourdement armée pour sécuriser ces élections. Certaines corrections et améliorations ont été effectuées. Par exemple, les mandats et les cartes d'accréditation des observateurs furent disponibles plus tôt, 13725 bureaux de vote installés dans les dix départements géographiques. La MINUSTAH disposa de 2061 policiers et de 2370 militaires onusiens. Désistement, endossement et appel au boycott caractérisèrent ces présidentielles. A deux jours du scrutin, le CEP se dit prêt à 97%.
Le 25 octobre 2015, les élections présidentielles, législatives et communales se déroulèrent dans le calme. On félicita le peuple, la police et le CEP. Le taux de participation oscilla entre 25 et 30 %, selon des observateurs de l'UE et de l'OEA. Plus tard dans la journée, des dénonciations de fraudes massives et d'irrégularités graves fusaient. Quatre (4) organisations de la société civile: RNDDH, SOFA, CONHANE et CNO, engagées dans l'observation électorale dénoncèrent des fraudes massives.
Le CEP aurait distribué 13725 mandats à chacun des partis et regroupements politiques engagés dans la course électorale ainsi que des cartes d'accréditation à des organisations d'observation bidon. Il se serait développé un trafic de mandats et ces mandataires auraient voté plusieurs fois. Rappelons qu'un mandataire et un observateur peuvent voter dans le bureau de vote où ils/elles sont affecté(e)s sans avoir leur nom sur la liste électorale du bureau ou du centre de vote en question. Dans ce cas, le président du bureau de vote et le superviseur rédigent un procès verbal attestant leur vote.
Des candidats appelèrent au respect du vote populaire. Le RNDDH exigea la vérification des informations relatives à la fois aux votes effectués en dehors de la liste d'émargement par les mandataires et observateurs, au mode de recrutement des avocats vérificateurs au Centre de Tabulation des Votes (CTV) ainsi que la clarification du nombre de mandats et de cartes d'accréditation délivrés aux organisations impliquées dans l'observation électorale. Le Président du CEP, Pierre-Louis Opont, promit de prendre en considération toutes les dénonciations de fraudes. L'internationale exigea la transparence au Centre de Tabulation des Votes (CTV), dirigé par Widmack Matador.
Le CEP forma une commission interne pour évaluer et corriger les fraudes et irrégularités. Le RNDDH contesta la formation de cette commission y voyant une manœuvre du CEP qu'il qualifia de juge et partie. La proclamation des résultats préliminaires, fixée au 3 novembre 2015, fut décalée de deux jours, soit le 5 novembre.
Comme prévu, le CEP publia les résultats préliminaires des élections présidentielles du 25 octobre 2015 donnant Jovenel Moïse de PHTK premier avec 32.81% des votes, Jude Célestin avec 25.27%, Jean-Charles Moïse 14.27%, Maryse Narcisse 7.05%. A part Jovenel Moise, les autres candidats rejetaient ces résultats appelant au respect du vote populaire. Fanmi Lavalas contesta régulièrement les résultats au BCED et au BCEN et soutint les revendications des partis LAPEH et Pitit Desalin dans les manifestations de rues lancées par ces derniers. Ces manifestations donnèrent souvent lieu à des violences de part et d’autre.
Cependant, bien avant la publication des résultats, huit (8) candidats à la Présidence: Sauveur Pierre Etienne, Jean-Charles Moïse, Jude Célestin, Jean-Henry Céant, Steven Benoit, Charles Henry Baker, Eric Jean-Baptiste et Samuel Madistin, formaient un front commun réclamant la formation d'une commission indépendante pour "épurer le processus de vote, en vue de détecter les cas de fraude; identifier et recommander l'exclusion du processus aussi bien des fraudeurs que des bénéficiaires des cas de fraudes; recommander toutes mesures utiles pour rétablir la confiance; et garantir la transparence nécessaire en vue de la poursuite du processus électoral."
Le CEP invita les représentants du groupe des 8 à le rencontrer. Par contre, au cours de la nuit suivant cette rencontre, le CEP publia un communiqué dans lequel il déclara que le Décret électoral ne contient pas les provisions pour constituer la commission proposée par le groupe des 8. Alors, LAPEH, Pitit Desalin et Fanmi Lavalas maintinrent la pression par des manifestations de rues.
En réponse à la contestation de Fanmi Lavalas, le BCEN rendit un jugement autorisant les avocats de Fanmi Lavalas à vérifier des procès-verbaux au centre de tabulation des votes. Apparemment, les 78 procès-verbaux contrôlés au CTV étaient entachés de fraudes. Le CEP, dans le communiqué # 92, rectifia le nombre de procès-verbaux écartés pour fraudes. Au lieu de 296 procès-verbaux, le CEP écarte 490 pour fraudes et irrégularités diverses constatées par le CEP lui-même. Cet aveu était susceptible de confirmer les allégations de fraudes et d'irrégularités dénoncées par les partis politiques contestataires.
Dans l'après-midi du mercredi 24 novembre, le CEP publia les résultats définitifs des élections présidentielles du 25 octobre 2015, sans grand changement dans le classement des candidats par rapport aux résultats préliminaires. Jovenel Moïse et Jude Célestin devraient s'affronter au second tour prévu le 27 décembre 2015. Le groupe des 8 maintint sa revendication. Le candidat à la Présidence Jude Célestin déclina des invitations de la Présidence et du CEP. Le Gouvernement forma une commission, en vue d'adresser la crise de confiance qui affectait le processus électoral Jude Célestin refusa de rencontrer ladite commission. Cependant, de nombreuses organisations de la société civile, comme la Conférence Episcopale et l'Initiative de la Société civile, adhérèrent à l'idée de la formation d'une commission indépendante de vérification du scrutin présidentiel du 25 octobre 2015.
E. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
La communauté internationale joue un rôle de premier plan dans la politique haïtienne, en général, et dans l'organisation des élections, en particulier. Elle contribue au financement de ces élections à hauteur de plus de 60%. Les principaux contributeurs sont les États-Unis d'Amérique du Nord, l'Union Européenne, le Canada, le Japon et le Brésil. Cette année, le Club de Madrid a effectué 6 missions en Haïti en vue d'appuyer et de suivre l'évolution du processus électoral. Le Secrétaire d'État Américain, John Kerry, est venu en Haïti rappeler que les élections de 2015 doivent se dérouler sans intimidation et sans violence.
En outre, Kenneth Merten : le Coordonnateur du dossier d'Haïti au Département d'État, les ambassadeurs du Canada, des États-Unis, de France et de l'Union Européenne défilèrent au Bureau du Premier Ministre Evans Paul pour renouveler leur appui à la tenue des élections en Haïti à la fin de l'année 2015. Par ailleurs, le Core Group, composé de la Représentante du Secrétaire Général des Nations-Unies, des Ambassadeurs des pays "Amis “d’Haïti : le Canada, les États-Unis, la France, le Brésil, l'Espagne et du Représentant de l'OEA en Haïti, plaide pour la poursuite du processus électoral après la tenue des élections du 9 août 2015, voire du 25 octobre 2015. Le Représentant de l'Union Européenne va jusqu'à minimiser les allégations de fraudes et d'irrégularités soulevées par les partis de l'opposition.
Or, depuis quelques temps, cette communauté internationale ne parle pas uniquement d'élections libres, honnêtes et démocratiques. Elle y ajoute crédibles et inclusives. Les élections du 9 août et du 25 octobre 2015 sont-elles jugées crédibles par la communauté internationale, suivant les normes et standards internationaux en usage?
Le journal Miami Herald, du jeudi 3 décembre 2015, annonça la visite de l'Ambassadeur Kenneth H. Merten. Sa mission, présuma-t-on, était de persuader le CEP de reporter la tenue du 2ème tour des élections prévues le 27 décembre 2015 à une date ultérieure et les dirigeants haïtiens de former une commission indépendante en vue de s'assurer de l'intégrité des élections du 25 octobre 2015, comme le recommandaient la Conférence Episcopale, des leaders protestants, l'ISC et quatre organisations locales de droits humains.
Entre temps, le mandat du Président Michel Joseph Martelly, au pouvoir depuis 4 ans et demi, tire à sa fin.
F. BILAN DU MANDAT DU PRÉSIDENT MARTELLY AU POUVOIR
En accédant au pouvoir le 14 mai 2011, le Président Michel Joseph Martelly avait axé son programme sur cinq (5) "E": Education, Emploi, Energie, Environnement et Etat de droit. Certains observateurs croient que le Président Martelly a mangé ses "E". D'autres pensent que ces "E" sont muets ou minuscules.
Education: le Ministère de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle lança le Programme de Scolarisation Universelle Gratuite et Obligatoire (PSUGO). La propagande gouvernementale fait état de chiffres, souvent contradictoires, du nombre d'élèves fréquentant l'école dans le cadre de ce programme. Une évaluation du PSUGO par le Ministère révèle de nombreux cas de fraudes et de malversations. 85 écoles sont exclues du programme. Le Ministère saisit l'Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC). Le nouveau Ministre Nesmy Manigat travaille à l'amélioration de la qualité de l'enseignement dispensé dans les écoles haïtiennes, contrôlées à 85% par le secteur privé.
Emploi: où sont les 400 mille emplois que l'Administration Martelly claironne avoir créé ? Même le Ministre de l'Economie et des Finances, Wilson Laleau, n'est pas en mesure d'établir avec exactitude le nombre d'emplois créés sous la Présidence de Michel Martelly. Toujours est-il que 60% de la population active du pays vit toujours dans le chômage.
Energie: l'Administration Martelly a toujours promis de rétablir la fourniture du courant électrique 24 heures sur 24.Cependant, les fournisseurs d'électricité à l'Ed'H se trouvent souvent dans la situation d'arrêter les moteurs, quand l'Ed'H n'honore pas ses obligations contractuelles. Les moteurs de la Centrale Hydro Electrique de Péligre sont en réparation. Cette année, la Banque Mondiale présente un rapport accablant sur la gestion de l'Electricité d'Haïti (Ed'H) qui bénéficie d'une subvention de 200 millions de dollars américains l'an. Alors que l'Ed'H accuse 60% de perte sur le réseau et n'est pas en mesure de facturer les clients. La Banque Mondiale recommande la baisse du prix de l'énergie, la révision des contrats conclus avec les fournisseurs d'électricité à l'Ed'H ainsi que l'amélioration de la gouvernance de la compagnie d'éclairage électrique. Le Gouvernement forme une Commission, chargée de mettre en œuvre les recommandations de la Banque Mondiale.
Environnement: un rapport publié récemment à la Conférence de Paris sur le climat classe Haïti parmi les trois (3) pays de la Planète, avec le Honduras et la Birmanie comme les plus affectés en 20 ans par des événements météorologiques. La couverture forestière est réduite à une peau de chagrin. Il suffit de quatre (4) heures d'averses pour enregistrer des cas d'inondation et des pertes en vies humaines. Des algues brunes envahissent Haïti, tuent des poissons et affectent la faune marine. Des tas d'immondices jonchent les rues de la capitale et des principales villes. Le personnel du Service Métropolitain de Collecte des Résidus Solides (SMCRS) est en grève pour réclamer le paiement de plusieurs mois d'arriérés de salaires. Il en est de même des employés de la voirie dans de nombreuses villes de provinces.
Etat de Droit: un seul cas suffit pour évaluer la vitalité de l'Etat de droit dans le pays. Le juge d'instruction, Me Sonel Jean-François rend une ordonnance de renvoi au criminel contre les membres du gang galil, dirigé par Woodly Ethéart, alias Sonson Lafamilia et Renel Nelfort, alias Renel le récif. Des membres du gang interjettent appel de ladite ordonnance. Curieusement, le Doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, Me Raymond Jean-Michel, en dépit de l'appel exercé contre l'ordonnance de renvoi, extrait les dossiers de Woodly Ethéart et de Renel Nelfort et les renvoie en jugement devant le tribunal criminel, présidé par le Juge Lamarre Bélizaire.
Woodly Ethéart, dit Sonson La familia et Renel Nelfort sont libérés par le Juge Lamarre Bélizaire qui leur conseille de ne plus recommencer. Pour maquiller l'affaire, le gouvernement exerce un pourvoi en Cassation contre le jugement du tribunal criminel sans assistance de jury, et met le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance, Me Kherson Darius Charles, en disponibilité.
Le Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire inflige la même sanction au Doyen Raymond Jean-Michel qui est remplacé par le Juge Bernard Saint-Vil.
L'Expert indépendant des Nations-Unies pour les Droits de l'Homme en Haïti a effectué quatre (4) visites pour constater la prévalence de la détention préventive prolongée, l'impunité, la situation des réfugiés et des déplacés depuis le séisme du 12 janvier 2010.
2. Instabilité Institutionnelle
On ne compte plus le nombre de Commissaires du Gouvernement qui se sont succédé à la tête du Parquet de Port-au-Prince. De plus, l'Administration Générale des Douanes (AGD), la Direction Générale des Impôts (DGI), l'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), l'Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) et la Radiotélévision Nationale d'Haïti (RTNH) n'ont jamais connu autant de changement de Directeurs Généraux. A ceux-là s'ajoute le nombre de Ministres qui ont défilé aux Ministères de l'Intérieur, du Plan, des Affaires Sociales, de la Communication, etc. Il importe de rappeler, toutefois, que quatre (4) Ministres ont battu le record de longévité dans le gouvernement. Il s'agit des Ministres Stéphanie Balmir Villedrouin (Tourisme), Jacques Rousseau (MTPTC), Florence Duperval Guillaume (MSPP) et Wilson Laleau (navette MEF/MCI).
3. Voyages, Accueil et Autres
Le Président Michel Martelly est parmi les Présidents d'Haïti, celui qui a effectué le plus grand nombre de voyages à l'étranger et qui a reçu également le plus grand nombre de dignitaires étrangers au cours de son mandat. Il a rencontré deux (2) Papes à Rome. Cette année, il a reçu la visite des Présidents de la République Française et de la République de Chine (Taiwan). Le premier est venu rappeler la dette "morale" de la France envers Haïti, sans promettre ni restitution ni réparation. Le second est venu inaugurer le nouvel immeuble, logeant la Cour de Cassation de la République, offert par son pays. La Drug Enforcement Agency (DEA) des Ëtats-Unis a procédé à l'arrestation du fils de l'ex-Président de l’Honduras Porfirio Lobo et de deux proches du Président Vénézuélien Nicolas Maduro.
Quelques temps auparavant, deux (2) citoyens vénézuéliens ont été appréhendés à Tabarre, en possession de cinq cent mille dollars américains cash à bord de leur véhicule, par des Agents de la Brigade de Lutte contre le trafic des stupéfiants (BLTS). Un trafiquant de drogue jamaïcain est tué par balles à Baie Dumesle, Saint-Louis du Sud, suite à des échanges de tirs avec la police. De même, des ressortissants haïtiens arrêtés pour trafic de drogue et extradés aux Etats-Unis sont retournés au pays, après avoir purgé leurs peines dans les prisons fédérales américaines. C'est le cas, par exemple, d’Oriel Jean et de Jacques Kétant. Ce dernier a bénéficié d'une réduction de peine et de la clémence de la justice américaine.
4. Violence et Insécurité
La violence et l'insécurité ont fait de nombreuses victimes cette année. De nombreux agents de la Police Nationale d'Haïti (PNH) sont tombés sous les balles de bandits circulant à motos dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et dans de nombreuses villes de provinces. Selon le Directeur Général de la PNH, Monsieur Godson Orélus, 250.000 armes illégales seraient en circulation dans le pays. Les religieux et religieuses furent les nouvelles cibles des bandits. On a enregistré 29 attaques contre des communautés religieuses. Des milliers de fidèles catholiques ont marché dans les rues de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien pour réclamer justice pour les religieux et religieuses.
La Commission Nationale Justice et Paix de l'Eglise Catholique (JILAP) a dénombré plus de 500 cas de morts par balles au cours du premier semestre de l'année 2015.
Parmi les cas les plus retentissants, citons: l'assassinat chez elle, à Vivy Mitchell de l'ex-Directrice Générale de la PNH sous la Présidence de Jean-Bertrand Aristide, Madame Jocelyne Pierre; l'assassinat de Oriel Jean, ancien chef de la sécurité du Palais national, sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide; l'attentat sur la personne de Jean Nesly Lucien, ancien Directeur Général de la PNH sous Jean-Bertrand Aristide, atteint de deux projectiles, tirés par des individus circulant à moto à Tabarre 36;l'assassinat par des individus armés de l'agronome Jean-Yves Barnatte aux Cayes, de Jean Gesner Henry Jr (dit coupé cloué jr) à Delmas 33, de Claude Delatour à Pétion-Ville, de Wickenson Bazile, employé technique du CEP et cousin du Conseiller au CEP Jaccéus joseph (Droits Humains) à Delmas 32. En outre, des individus armés criblent de balles la résidence du Conseiller au CEP Vijonet Déméro (Cultes Réformés).
A ceux-là s'ajoutent, les nombreux cas de violences enregistrés à Fort-Liberté, à Ouanaminthe, à Petit-Goâve, à Miragôane et à l'Arcahaie. A Ouanaminthe, par exemple, un casque bleu chilien de la MINUSTAH a été tué. Aussi, des pays comme le Canada, les États-Unis et la France recommandent à leurs concitoyens d'éviter autant que possible de voyager en Haïti même quand un cadre supérieur de l’UNPOL déclare que la situation sécuritaire au pays n’est pas si mauvaise.
II. SUR LE PLAN ECONOMIQUE
Un pays que l'on disait ouvert aux affaires (open for business) trébuche à cause de l'insécurité, de la violence, de l'instabilité politique et de la mauvaise gouvernance. En début d'année fiscale 2014-2015, les prévisions économiques tablaient sur un taux de croissance du PIB de 3.5%, un taux d'inflation de 6 à 8% en rythme annuel et un taux de change oscillant entre 48 et 50 gourdes pour un dollar américain. Sans doute, ces prévisions n'avaient pas tenu compte de facteurs internes comme la sécheresse, les manifestations politiques, les grèves et de facteurs externes comme la baisse du prix du baril de pétrole sur le marché international et la raréfaction de l'aide externe à Haïti.
Le brut vénézuélien, principal fournisseur de pétrole à Haïti dans le cadre de l'Accord Pétro Caribe, a perdu 61% de sa valeur en 2015. Cette baisse du prix du pétrole sur le marché international entraine une baisse des revenus octroyés à Haïti dans le cadre de l'Accord Pétro Caribe, signé avec le Venezuela. De plus, les grèves lancées par les syndicats du secteur transport, réclamant la baisse du prix du carburant à la pompe, entraînent une réduction des recettes fiscales. Le Budget de l'exercice fiscal 2014-2015 est revu à la baisse, de 122.6 milliards à 109.5 milliards de gourdes.
La Commission Économique pour l'Amérique Latine et la Caraïbe (CEPAL) a revu à la baisse le taux de croissance économique du PIB pour Haïti à 2.5%. C'est peut être ce qui a porté le Ministre de l'Économie et des Finances, Wilson Laleau, à déclarer l'état d'urgence économique. D'après lui, le pays vit au-dessus de ses moyens. Ce qui pourrait laisser croire que l'État allait pratiquer une politique d'austérité, en réduisant son train de vie et en éliminant les dépenses somptuaires.
Le Forum Économique Mondial, dans son rapport 2015, classe Haïti 133e sur 141 pays en matière de tourisme, devant Myanmar, Burkina Faso, Mauritanie, Yémen, Mauritanie, Angola, Guinée et Tchad. Depuis quelques temps, le pays importe presque tout ce qu'il consomme et exporte très peu de biens à l'étranger. Pour la première fois dans son histoire, le pays importe du café. Moins d'un million de touristes, y compris les haïtiens vivant à l'étranger, visitent Haïti chaque année.
Les principales sources de devises étrangères demeurent jusqu'à présent les transferts en provenance de la diaspora et l'aide internationale au développement. Les transferts en provenance de la diaspora totalisent 2 milliards de dollars américains. Avec 830 dollars américains de revenu annuel par tête d'habitants, Haïti stagne dans la classification par revenu de la Banque Mondiale. Haïti exporte pour à peine un milliard de dollars américains de biens et importe pour plus de quatre milliards de dollars américains. Le déficit de la balance commerciale se creuse davantage avec la République Dominicaine.
L'Association des Industries d'Haïti (ADIH) s'inquiète de la recrudescence de la contrebande à la frontière haïtiano-dominicaine. La Cimenterie Nationale (CINA) appelle l'Etat haïtien à lutter contre la contrebande de ciment en provenance de la République Dominicaine. Le gouvernement estime le manque à gagner pour le fisc à près de 500 millions de dollars américains l'an. Récemment, le Directeur de la Douane de Malpasse se plaignait de la recrudescence de la contrebande qui se développe sur le lac Azuei.
Le rapport du Forum Economique Mondial sur la compétitivité classe Haïti 134ème sur 140 économies analysées en 2015-2016. Entre temps, la Banque Mondiale révise les prévisions de croissance du PIB en Haïti à la baisse, soit 1.7%. Le Congrès Américain renouvelle la Loi HOPE/HELP favorisant l'exportation de produits textiles, sans droits de douane, aux Etats-Unis jusqu'en 2025.
Le salaire minimum dans le secteur textile en Haïti passe à 240 gourdes par jour. Parallèlement, la gourde se déprécie fortement par rapport au dollar américain. Le taux de change de la gourde par rapport au dollar américain passe de 40 gourdes en 2011 à 52 gourdes pour un dollar américain en avril 2015. En moins de 30 jours, le taux de change passe en mai 2015 de 46 à 56 gourdes pour un dollar américain.
Le Gouverneur de la Banque de la République d'Haïti (BRH) tente de rassurer et de calmer les esprits des agents économiques. La BRH intervient sur le marché pour garantir la stabilité des prix dans l'économie haïtienne. Alors, la BRH augmente les coefficients de réserve obligatoire, les taux d'intérêt sur les Bons BRH et injecte des dollars américains sur le marché.
Pour les uns, la Banque Centrale réduit ainsi la capacité des banques commerciales à octroyer du crédit au secteur privé (effet d'éviction), en asséchant les liquidités disponibles dans le système bancaire. Pour d’autres, ces mesures entraînent aussi l'augmentation des taux d'intérêt sur les prêts accordés aux clients. Les coefficients de réserve obligatoire affectent même les comptes des organismes publics domiciliés dans les banques commerciales opérant en Haïti. Mais la question vitale, celle de la relance de la production nationale, seule capable de revitaliser la gourde, ne peut être adressée par la BRH uniquement mais par une nouvelle politique d’Etat et par un nouveau choix de société. De plus, comment ne pas provoquer inflation et chute de la gourde quand le Ministère des Finances a fait imprimer 14 milliards de gourdes en deux ans ?
C'est dans ce contexte économique morose que le Ministère de l'Economie et des Finances (MEF) prit un communiqué interdisant l'importation par voie terrestre de 23 produits en provenance de la République Dominicaine. Le Forum Economique du Secteur Privé jubilait. Cependant, cette décision s'apparente à une mesure protectionniste non tarifaire, susceptible d'être attaquée devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).Les observateurs se demandent pourquoi une mesure si importante n'a pas fait l'objet d'un Arrêté pris en Conseil des Ministres mais d'un simple communiqué du Ministère de l'Economie et des Finances (MEF)?
De toute façon, les réactions ne se sont pas fait attendre. Le syndicat des transporteurs de la République Dominicaine protestaient et bloquaient la frontière à Jimani. Ce qui a eu pour effet de pénaliser les usines textiles opérant en Haïti, dont l'approvisionnement en matières premières s'effectue par la frontière haïtiano-dominicaine. Le Président Martelly a dû se rendre à Baharona en République Dominicaine pour rencontrer son homologue Danilo Médina en vue de discuter de questions d'intérêt commun aux deux pays. Les deux Présidents signèrent un accord en six points. Les échanges commerciaux et la migration sont au cœur de cette entente.
Le rapport « Doing Business 2016 » classe Haïti 182ème sur 189 nations répertoriées. La Coordination Nationale sur la Sécurité alimentaire constata une augmentation des prix des produits alimentaires. La dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain se poursuit. Le coût de la vie augmente. Le taux d'inflation est passé maintenant à 11%. En cette fin d'année 2015, le taux de change de la gourde par rapport au dollar américain avoisine 60 gourdes pour un dollar américain. La Banque Centrale (BRH) annonce la vente de 50 millions de dollars sur le marché des changes.
Le 1er octobre 2015, le Gouvernement publia par Décret le Budget de 120.6 milliards de gourdes pour l'année fiscale 2015-2016. Les prévisions de dépenses dans ce Budget sont supportées par des prévisions de recettes basées sur une augmentation de certains droits et taxes, comme le matricule fiscal, le timbre de passeport, le permis de conduire et la patente. Parallèlement, le Gouvernement adopta un décret accordant des privilèges exorbitants aux anciens Ministres et Secrétaires d'Etat. Ces décisions soulevèrent la colère des syndicats de transport et des étudiants de certaines Facultés de l'Université d'Etat d'Haïti. A celles-là s'ajouta la décision de créer cinq (5) nouvelles communes dont celle dite des Arcadins. Après maintes protestations, violences et émeutes à l'Arcahaie, le Gouvernement rétracta ces mesures.
III. SUR LE PLAN SOCIAL
Le processus de paupérisation de la population se poursuit. Sur une population totale de 10.6 millions d'habitants, la population économiquement active est estimée à 4.7 millions d'habitants. 60% de cette population est en chômage. De plus, 3.7 millions d'haïtiens sont menacés par l'insécurité alimentaire. Plus de deux millions d'haïtiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 2 dollars américains par jour. Les haïtiens continuent de prendre le chemin de la mer, en dépit des rapatriements des Etats-Unis et des Bahamas. Un voilier fit naufrage au large de Borgne, faisant 21 morts et occasionnant autant de disparus. Plus de 70.000 immigrants haïtiens sont confrontés à d'énormes difficultés au Brésil qui accorde la résidence permanente à 43.781 d'entre eux.
Le Gouvernement a procédé à la capitale à la démolition des maisons dans les quartiers compris entre la rue de la Réunion, la rue du Champ de Mars et la rue Saint-honoré, après un processus de dédommagement laborieux, laissant de nombreuses familles sans toit. De plus, les chantiers publics, exécutés pour la plupart par la firme du Sénateur dominicain Félix Bautista, sont fermés. En outre, les programmes sociaux: Edé Pèp, Ti Manman Chéri, Koré Etudiant, koré paysan, Restaurants Communautaires, mis en place sous le gouvernement Lamothe, sont arrêtés, faute de financement. Pour les relancer, le Gouvernement du Premier Ministre Evans Paul nomma un nouveau Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des Programmes Sociaux, Projets et Chantiers du gouvernement.
Le Président Martelly a procédé à la distribution de 72 autobus à 72 jeunes garçons des rues, dans le cadre du programme changer la vie, changer de métier. Il a aussi procédé à l'inauguration des places publiques du Canapé Vert et de la Place Sainte- Anne, du Ciné Triomphe, du Kiosque Occide Jeanty, du viaduc de Delmas, des locaux du Lycée Alexandre Pétion et du Lycée Toussaint Louverture.
La décision du Tribunal Constitutionnel Dominicain TC 168-13, remettant en question la nationalité des descendants d'haïtiens, vivant en République Dominicaine depuis 1929, les menaçant de déportation, créa un malaise, une friction dans les relations diplomatiques entre les deux pays partageant l'ile d'Haïti. Normalement, la République d'Haïti devait porter l'affaire devant la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme de l'OEA qui a juridiction pour résoudre pareil différend. Suivant les conseils du Président du Venezuela, Haïti abandonna la voie multilatérale pour engager des négociations bilatérales avec la République Dominicaine. Entre temps, la République Dominicaine adopta une loi de régularisation de la situation des immigrants illégaux et mit en place un programme national de régularisation des étrangers (PNRE). La Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) appella la République Dominicaine à garantir le droit à la nationalité des dominicains.
Pris au piège de la République Dominicaine, Haïti lança un programme d'identification et de documentation des immigrants haïtiens (PIDIH) vivant en République voisine. Le CARICOM se dit préoccupé par l'expiration des délais prévus dans le cadre du programme national de régularisation des étrangers (PNRE). Des milliers d'haïtiens, vivant illégalement en République Dominicaine, sont menacés de déportation. 98.000 haïtiens inscrits au PNRE retiraient leur carte de régularisation, leur accordant le statut de migrants légaux en République Dominicaine. Par contre, 78.000 étrangers furent exclus du PNRE, en majorité des haïtiens.
A l'appel du Collectif du 4 décembre et d'autres organisations de la société civile, une manifestation est organisée à Port-au-Prince contre la République Dominicaine. Des individus non identifiés, descendirent le drapeau dominicain sur le toit du Consulat dominicain à Pétion-Ville. En représailles, la République Dominicaine rappela son Ambassadeur accrédité en Haïti, ferma les portes de ses Consulats, réclama des excuses pour la profanation de son drapeau.
L'Ambassadeur d'Haïti en République Dominicaine : Daniel Supplice, critiqua le programme de documentation et d'identification des immigrants haïtiens (PIDIH), initié par le Gouvernement haïtien en République Dominicaine. Il le qualifia d'échec cuisant et de fiasco total. "Nous ne sommes pas en mesure d'identifier nos citoyens chez nous", déclara-t-il. Haïti appela la République Dominicaine à la raison à la tribune de l'OEA qui prôna le dialogue entre les deux pays. Parallèlement, le Groupe d'Appui aux Réfugiés et Rapatriés (GARR) dénonça le rapatriement de force, à Anse à Pitres, de 299 ressortissant(e)s haïtiens. L'Ambassadeur Daniel Supplice est rappelé par le pouvoir et remplacé par Madame Magalie Jeanty Magloire.
Le Carnaval national qui s'est déroulé cette année à Port-au-Prince, fut amputé d'un jour. Le deuxième jour s'était brusquement arrêté, à cause de l'accident survenu au Champ de Mars, à l'angle de la Rue Capois, qui a failli couter la vie au chanteur vedette du groupe musical Baricad Crew : Fantom. Cet accident a quand même causé la mort de 17 participants au carnaval. Le mardi gras était consacré à une cérémonie d'hommage, en silence, à la mémoire des disparus. En outre, le Festival des Arts de la Caraïbe, dénommée CARIFESTA, organisée en Haïti cette année, a connu un grand succès, tant du point de vue de la qualité des spectacles que du niveau de participation aussi bien des délégations en provenance des pays de la caraïbe que du public haïtien.
Cette année, sont morts l’économiste Henri Bazin, un homme honnête et modeste, le chanteur vedette du groupe musical King Posse : Alex Pierre alias Black Alex, l’Ati national : Max Beauvoir, Monseigneur Pierre Saint-Hilien, évêque du Diocèse de Hinche, le chef militaire de la MINUSTAH : le Lieutenant-Général brésilien José Luiz Jarobnady Jr, l'Agronome Pierre Gary Mathieu.
L'année 2015 marquait également le centenaire de la première occupation du pays par les Marines américains. 100 ans après, Haïti est occupée par une force multinationale (MINUSTAH), sous contrôle des Nations-Unies, au titre du Chapitre VII de la Charte de l'ONU. Le mandat de la MINUSTAH est renouvelé pour une année, expirant le 15 octobre 2016. Coïncidence historique, un émissaire américain : Kenneth Merten, vient dicter la suite à donner au processus électoral.
En cette fin 2015, Haïti se trouve à une croisée de chemins. Les élections prévues le 27 décembre sont renvoyées. Pourtant, le Gouvernement adopte en Conseil des Ministres un Décret, réorganisant le Ministère de la Défense et remobilisant les forces armées d'Haïti. Une Commission est unilatéralement formée par la Présidence pour évaluer le processus électoral bancal dont on verra peut-être l’aboutissement en 2016. Des analystes politiques prévoient la fin du mandat de cinq ans du Président Martelly, le 14 mai 2016, un élu devant remplacer un élu.
De quoi l'Année 2016 sera-t-elle faite ? Elle débutera comme des précédentes, en pleine tourmente politique, économique et sociale. Quand une administration a dépensé 2 milliards 450 millions de dollars us en 5 ans en pratiquant surtout une politique de poudre aux yeux, qu’ elle a émis en 2 ans 14 milliards de gourdes pour financer d’abord le gaspillage, comment s’étonner de l’envol de l’inflation et de la chute de la gourde ? Comment ne pas se demander que pourra et que devra faire un nouveau gouvernement ? Martelly, se contentant d’un présent en chrysocale a raté l’occasion d’entrer dans l’Histoire.
2016 sera ce que le peuple haïtien voudra en faire : une année d'éveil ou d’un pas de plus vers l'abîme.
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