Jérémie: Souvenirs et Réminiscences
Par Dr. Carl Gilbert
Dr Carl Gilbert |
Jérémie, la cité des poètes, la ville du Nordé,
des « Boulvari », des « boboris », autant de surnoms qui sautent à
mon esprit quand on parle de ce patelin situé en amphithéâtre dans la baie de la Grand' Anse.
Vue en plongée de la ville de Jérémie |
Malgré la distance qui me sépare maintenant de
cette communauté censée la cinquième ville d'Haïti, cette ville où j'ai
vu le jour, je ne peux pas effacer de ma mémoire, quand j'entends évoquer son
nom, l'odeur du varech qui montait le soir de la profondeur de la mer battant
le ciment dénudé du « warf », au cours de mes promenades en compagnie
de mes amis. Dans la lumière blafarde de la lune, nos yeux habitués à la
demi-clarté des « black-out » partiels qui régnait sur la ville, pouvaient
alors détecter la silhouette de Ti Simone, l'épave d'un navire qui connut dans
les temps perdus les cruautés de la mer rendue furieuse par le Nordé.
Vent qui quand il soufflait faisait gronder ces eaux jusque dans leurs abysses
mystérieuses où selon la légende résidait la Sirène entourée des autres
monstres marins. Ou qui donnait soudainement naissance à ces `boulvari',
bouffées violentes, et intenses mais brèves qui emportaient tout sur leur
passage et recouvraient la ville d'une couche blanche et poussiéreuse.
Vue partielle de quelques batiments autour de la place Dumas |
Jérémie est
un nom qui évoque aussi dans ma mémoire les boboris chauds au goût de manioc, de hareng
saure et de piment vendus au bas de Bordes, la saveur des « konparèts », des cassaves
« royal » des « tablets rorolis »que nous dévorions à grandes dents au
cours de nos promenades du samedi matin. Jérémie c'est aussi la chanson des petits « restaveks », petits vendeurs de café grillé dont la
chanson (men kafe griye men gwo konèt
kafe griye) claire de voix enfantine allait en diapason avec
l'Angélus en provenance des cloches notoires de l'Eglise. Tandis que l'aurore projetait
ses lueurs imprécises sur le morne de l'Hôpital.
Le foyer culturel à la rue Abbé Huet |
Je revois aussi
dans ma mémoire l'image de la Pointe, dans les parages des Côtes-de-Fer, où les
enfants endimanchés se rendaient pour sentir à nouveau dans l'air que berçait
la brise l'odeur du sel marin, une senteur plus saine que celle du quai, alors
que le vonvon de la brise du soir faisaient voler les jupes, découvrant des
jambes innocentes de jeunes filles venues se balader avec leurs petits
amis—dans des amours enfantines qui ne duraient qu'une ou deux semaines.
En entendant quelqu'un prononcer le mot Jérémie, je ne puis pas
m'empêcher de songer à nos groupes d'amis réunis de manière régulière au
coucher du soleil, presque chaque samedi, sur la Place Dumas, alors que nous faisions
tour après tour le tour de la Place, parlant de tout et de rien. Je pense
aussi à ces parties de Scrabble qui nous forçaient à trouver les mots les plus
rares, sur la « galerie » des Jabouin de sorte que nous puissions
compléter avec fierté ces parties des fois surchauffées, car le gagnant se
donnait ainsi la réputation de celui qui connaissait le nombre le plus élevé de
mots dans le Petit Larousse.
Les pipirites (radeaux en bambou) sur la rivière Grand-Anse, à l'entrée de Jérémie |
A l'évocation du nom de cette ville, je me
souviens aussi de ce soir où les sirènes des voitures militaires s'étaient
mises à hurler dans les rues, interrompant pour des dizaines de jeunes réunis
au Ciné Fox le spectacle du film le Bossu de Rome, car le chef du district militaire, ce capitaine à l'air hautain et à la poitrine bombée,
avait voulu que les rues de la ville fussent désertées sur le champ parce qu'il
devait emmener des familles entières
faites aussi de femmes, d'enfants et de nouveaux-nés à « l'abattoir »
au Numéro Deux, dans un cortège lugubre, accompagné qu'il fut, ce capitaine, de
certains personnages de la ville qui croyaient à la fois en Dieu et en
Duvalier. Cet épisode est connu depuis lors sous le nom des « Vêpres jérémiennes ». Un épisode qui devait marquer cette ville à
tout jamais, et qui depuis lors fait pleurer Jérémie. La légende nous dit
que chaque fois qu'on passe depuis lors dans les parages de Numéro Deux on
entend toujours à l'orée des bois les cris des enfants qu'on égorgeait à la
baïonnette et les voix suppliantes des femmes que ce groupe de criminels avait
violées avant de les terrasser pour toujours.
Dr Carl Gilbert |
Mais il y a eu des épisodes moins douloureux,
comme les souvenirs de matches de foot où Maurice Léonce était l'une de nos étoiles ; il y
a eu aussi les processions religieuses au cours de la fête patronale de la Saint-Louis
chaque 25 août, les randonnées dans les campagnes avec mon père qui se faisait
un devoir de m'instiller l'amour de la terre et des plantes ; les
promenades et les pique-niques jusqu'à l'Anse d'Azur …
et tant d'autres moments joyeux passés en compagnie de mes parents et de mes
amis dont certains sont éparpillés maintenant à travers le monde.
2 comments:
Herve & Carl ,
c'est avec une reelle emotion que j'ai lu vos souvenirs relatifs
à votre ville natale, je n'ai pu m'empecher de vous ecrire pour vous dire
que j'ai verse des larmes à la lecture de votre texte...
j'espere n'voir jamais un jour à parler ainsi de mon Oyem natal
pcq contrainte à l'exil....à travers votre message je comprends mieux ce qu'endure les haitiens de la diaspora et je peux finalement apprecier la chance qui m'est donnee de vivre chez moi.
Vous n'etes pas haineux ds vos propos malgré les tristes souvenirs concernant les massacres des femmes et enfants de jeremie.
Je terminerai mon propos en felicitant toute l'equipe de Haiticonnexion
vous au moins vous savez promouvoir Haiti, et c'est cette Haiti que vous vantez avec tant d'amour, de passion, que je compte decouvrir, c'est celle dont je veux que l'on parle pas de l'Haiti degradante devalorisante dont certains sites se font l'echo. vous me donnez l'envie et la force d'aller enfin visiter Haiti. Continuez à vendre votre pays et vous verrez qu'Haiti redeviendra LA PERLE DES ANTILLES.
Oui, on peut dire que vous etes amoureux ...amoureux de Jeremie, la ville qui vous a vu naitre
Hervé & Carl je vous souhaite de pouvoir un jour retourner à Jeremie et vous promener dans les rues
comme vous le faisiez lorsque vous etiez enfant.
Merci pour ces moments .
Mondy
eyi_mondy@yahoo.fr
Merci Mondy de tout coeur
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